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n’est ignorée de personne; mais toujours ces animalcules semblent convier les penseurs aux plus sérieuses méditations. Une goutte d’eau est étalée sur une lame de verre, et dans cet espace nagent avec une incroyable prestesse de petits êtres chez lesquels la vie se manifeste avec une prodigieuse énergie sous une infinité d’aspects. L’esprit est confondu, et plus que jamais on serait tenté de s’écrier comme certains contemplateurs de la création que nulle part la nature n’est aussi grande que dans les infiniment petits.

La lettre par laquelle Leeuwenhoek fait connaître les résultats de ses recherches sur les êtres microscopiques est l’un des écrits qui permettent le mieux de l’apprécier comme naturaliste. Une précision extrême touchant les circonstances qui ont accompagné chaque étude témoigne de la conscience de l’observateur. L’énoncé de certains détails fait ressortir le tour un peu naïf de son esprit. Malgré la simplicité, le récit porte l’empreinte d’un sentiment d’orgueil assez naturel chez l’homme qui vient apprendre aux savans une foule de choses qu’ils ignorent. Les motifs qui ont déterminé les observations, la manière dont elles ont été poursuivies, dénotent chez l’auteur une rare perspicacité. Séduit par ces qualités solides, on admire l’habile micrographe, on le voit avec des proportions qui l’élèvent au niveau des plus grands, on lui accorde le respect qu’inspirent les intelligences supérieures; mais l’enthousiasme se refroidit un peu en reconnaissant que l’auteur ne saisit guère la portée de ses propres découvertes, n’aperçoit même pas les nouveaux horizons qu’elles dévoilent aux scrutateurs de la nature. Alors l’âme est pénétrée d’un regret; on voudrait voir Leeuwenhoek pourvu des connaissances générales qui permettraient à cet esprit ingénieux de s’élever à quelques hautes conceptions. Avec une forte instruction, Leeuwenhoek en effet aurait sans doute mérité d’être compté au nombre des génies dont s’honore l’humanité.

Les observations de l’habitant de Delft sur les petits animaux qui un siècle plus tard devaient recevoir la mauvaise appellation d’infusoires commencent de la manière la plus simple et la plus naturelle. « Dans l’année 1675, dit notre auteur, je découvris des créatures vivantes dans de l’eau de pluie qui avait séjourné plusieurs jours dans un vase de terre vernissé. Ceci m’invita à examiner cette eau avec plus d’attention, et surtout les animalcules, qui me parurent dix mille fois plus petits que les puces aquatiques dont a parlé M. Swammerdam, et que l’on peut voir à l’œil nu. » Il observa donc ces animalcules, il en vit de plusieurs espèces très reconnaissables à leurs formes particulières et à leur dimension relative. Chez plusieurs, il crut distinguer des pieds d’une incroyable ténuité, s’agitant avec une rapidité extraordinaire, et dans l’intérieur du corps il vit très nettement de huit à douze globules