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être convaincu. L’observateur, doué à la vérité d’une patience inébranlable, possédant une habileté consommée, sachant obtenir de merveilleux résultats au moyen de divers modes d’éclairage artistement combinés, eût-il réussi à faire toutes ces découvertes avec d’aussi pauvres instrumens? Il y a lieu d’en douter. Leeuwenhoek ne montrait à personne ses meilleurs microscopes. Dans quelques-unes de ses communications, il parle d’observations faites avec un microscope qu’il conserve pour son usage personnel; il n’hésite pas à dire qu’il met à la disposition de ses visiteurs certains microscopes, mais qu’il en a de beaucoup meilleurs absolument réservés pour ses études. A différentes reprises, la Société royale l’invite avec une insistance extrême à faire connaître la nature de ses instrumens. A toutes les demandes de ce genre, Leeuwenhoek répond d’une manière évasive, ou il répond qu’il ne peut encore donner aucun renseignement précis à cet égard, ou il ne répond pas du tout. Il était arrivé à la vieillesse, et l’on pouvait croire à un facile abandon de ses secrets. Leibniz lui donne le conseil d’apprendre à des jeunes gens l’art de tailler les verres selon ses procédés; il repousse cette idée avec toute l’énergie imaginable. Notre observateur, il est vrai, se fonde sur l’indifférence qu’on rencontre partout, sur la rareté des hommes capables de se livrer à des études du genre de celles qui ont occupé sa vie. Pour avoir des succès, ajoute-t-il, il faut consacrer beaucoup de temps à l’étude, dépenser beaucoup d’argent, donner toute son âme à la pensée et à la méditation, ce qui assurément n’est pas de nature à séduire un grand nombre de jeunes gens. A la mort de Leeuwenhoek, on n’a rien trouvé, affirment ses compatriotes, qui permît de savoir comment il travaillait ses lentilles, ni comment il en choisissait la matière. Il ne serait donc pas impossible que cet homme dont les défiances perpétuelles trahissaient les faiblesses d’un esprit peu cultivé ait fait disparaître dans son âge avancé ses meilleurs instrumens, avec l’idée de continuer à paraître aux yeux de tous un observateur incomparable. Les personnes sachant avec quelle rigoureuse exactitude les observateurs modernes déterminent la dimension des plus petits objets ne pourront s’empêcher de sourire des moyens de détermination tout primitifs à l’usage de Leeuwenhoek. Son terme de comparaison préféré est le grain de sable, et comme la grosseur des grains de sable varie dans des limites fort larges, on se trouve assez mal renseigné par la comparaison. Il importe donc, en lisant les écrits de notre auteur, de savoir que son étrange étalon de mesure égale en diamètre le trentième d’un pouce. Au reste le naturaliste de Delft est plein de ressources quand il veut donner une idée de la dimension des objets qu’il a examinés; il la compare volontiers à l’épais-