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que batave, devenue grande par sa prodigieuse activité, par ses luttes avec les principales puissances de l’Europe, par ses conquêtes au-delà des mers, pouvait se glorifier au XVIIe siècle de posséder des illustrations dans presque tous les genres. La part de la Hollande dans le mouvement scientifique du XVIIe siècle a été véritablement importante. Des investigateurs isolés se révélèrent tout à coup par des découvertes auxquelles le monde savant ne put manquer d’accorder son admiration. Ces investigateurs qui contribuèrent à l’éclat de leur patrie en servant le progrès des sciences naturelles s’appellent Leeuwenhoek, Ruysch, Swammerdam. Comme observateur au microscope, Leeuwenhoek occupe le premier rang; il a été nommé le père de la micrographie.

Pour bien apprécier les travaux de Leeuwenhoek, il est essentiel de connaître un peu l’observateur lui-même. Les investigateurs qui nous ont déjà occupé étaient de véritables savans, ils possédaient une instruction solide et souvent une vaste érudition. Profondément versés dans la connaissance des langues anciennes, ils étaient encore plus ou moins familiarisés avec les principales langues modernes. Leeuwenhoek au contraire, vivant à une époque où la langue latine était d’un usage général parmi les auteurs, ne sait pas un mot de latin. Tout idiome étranger lui est absolument inconnu; toute notion scientifique sérieuse concernant l’organisation de l’homme et des animaux lui manque. Leeuwenhoek n’a presque rien appris de ce que l’on apprend par la lecture ou par la parole des maîtres. Il ne cherchera jamais à s’instruire davantage. Dominé par une seule pensée, il poursuivra son but avec intelligence et surtout avec une patience inébranlable. Comprenant la nécessité d’avoir des instrumens supérieurs à tous ceux que l’on possède pour porter l’investigation au-delà des limites où elle a déjà été portée, il saura devenir le plus habile constructeur de microscopes. Pourvu d’instrumens sans pareils à son époque, si l’on en juge par les résultats des observations, Leeuwenhoek se met au travail. Il regarde presque au hasard avec son microscope, et, comme le plus souvent il est le premier à regarder dans les conditions où il a su, se placer, il découvre. Il décrit ce qu’il a observé, et, heureux d’avoir révélé des choses inconnues, son ambition se trouve satisfaite. Pendant près d’un demi-siècle, cet homme ingénieux, doué d’un esprit pénétrant, examinera sans suite, sans méthode, les substances organiques, les liquides, les êtres les plus infimes de la création. Ses études le conduiront à faire les découvertes les plus inattendues, à connaître les faits les plus propres à jeter de nouvelles lumières sur les plus importans phénomènes de la vie, mais jamais son esprit ne saura s’élever à une conception générale.