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admirablement à cette fonction, et s’appliqua au gouvernement de quelques centaines d’étudians avec autant de sérieux et de conscience qu’il eût fait au gouvernement des États-Unis. Il eut des levers, comme s’il eût été à la Maison-Blanche. Il prononçait des adresses qui étaient lues dans toute l’Union et jusqu’en Angleterre, et ne dédaignait pas cependant les plus minces détails de l’administration universitaire. Il écrivait l’Histoire de Harvard College, il fondait une école de droit et l’observatoire devenu célèbre par les découvertes des Bond ; il ne résigna ses fonctions qu’en 1845, pour les abandonner à M. Everett, qui revenait d’Angleterre, où il avait été ministre des États-Unis.

Tant qu’il resta président de l’université, Quincy ne prit volontairement aucune part active à la politique de son pays, et s’abstint d’exprimer publiquement ses sentimens sur les graves événemens dont il apercevait la portée lointaine, sur l’annexion du Texas, sur la guerre avec le Mexique, sur les compromis de 1850, et particulièrement sur la loi des esclaves fugitifs. Il regardait tous ces excès du parti démocratique comme la conséquence logique de la conduite tenue en 1803 par Jefferson, quand pour la première fois il fut admis qu’un territoire nouveau pouvait être incorporé au domaine des États-Unis par un simple acte du congrès et sans le consentement préalable de la nation directement consultée. Le 2 juin 1854, jour où Boston livra Anthony Burns, un esclave fugitif, on lit dans son journal : « Quitté Boston d’aussi bonne heure que possible pour éviter le douloureux spectacle d’une créature humaine rendue à l’esclavage par la loi. Le sentiment public est si hostile à la mesure qu’une quantité de troupes et du canon chargé ont été jugés nécessaires pour la mettre à exécution. » Rentré dans la vie privée, et n’étant plus retenu par sa dignité académique, il ne perdit plus une occasion de protester contre les exigences croissantes du sud. Le jour où il apprend que M. Sumner a été attaqué lâchement par M. Brooks en plein sénat, il écrit : « Il est temps de crier sur les toits ce que tout homme digne de ce nom dit chez lui et éprouve dans son cœur. Par la corruption, par l’intrigue et l’artifice, en jouant avec les partis des états libres et en les opposant les uns aux autres, en flattant les vains, en achetant les lâches, les maîtres d’esclaves ont, dans l’espace de cinquante ans, usurpé tous les pouvoirs constitutionnels de l’Union ; ils se sont emparés du fauteuil présidentiel, des chambres du congrès, des cours de justice nationales, de l’armée ; ils n’ont laissé d’autre espoir à l’esprit de liberté que la liberté de la parole dans la législature et l’urne du scrutin. Et voilà que celle-ci est brisée dans le Kansas par les bandes des maîtres d’esclaves, et qu’une députation de maîtres