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tiques. Il s’était convaincu par un séjour prolongé à Washington que les états du sud, les états à esclaves, étaient omnipotens dans l’Union, que par leur alliance avec le parti démocratique du nord les députés du sud s’étaient assuré une influence non pas temporaire, mais permanente. Obligé de défendre les intérêts des états de la Nouvelle-Angleterre, il avait mieux que personne aperçu l’antagonisme qui se préparait entre la société du nord, commerçante, industrielle, et l’oligarchie du sud, qui ne songeait qu’à ses vastes plantations. Il recula devant des luttes et un labeur qu’il croyait stériles. Une opposition perpétuelle et sans espérances n’était point de son goût. Il avait perdu confiance dans son propre parti : plus les fédéralistes sentaient diminuer leurs chances de reprendre le pouvoir, plus leur discipline se relâchait. Des ambitions communes étouffent les germes de discorde au sein des partis; mais, quand toute espérance est perdue, ils se développent comme ces plantes qui trouvent un chemin à travers des pierres disjointes.

Quincy resta pourtant encore à Washington pendant la session de 1812 à 1813. Son parti était pris, il n’avait plus rien à ménager. Ses discours à cette époque respirent cette froide résolution qu’on puise dans le renoncement et une amertume où se concentraient toutes les colères qu’il avait accumulées pendant huit ans contre les insolens maîtres de Washington. Celui de ces discours qui eut le plus de retentissement avait trait à l’invasion alors projetée du Canada. Quincy affirma qu’en encourageant ces projets l’administration avait surtout en vue de créer une charge de lieutenant-général pour Monroe. Il dénonça l’invasion comme une folie cruelle et inutile, car elle n’obligerait point à la paix une nation aussi fière que l’Angleterre. Le parti démocratique ne cherchait, selon lui, dans des complications nouvelles qu’un moyen de perpétuer son ascendant. Il fit une revue de toute la politique de ses ennemis, et montra l’Union entière asservie aux ambitions et aux projets de l’oligarchie du sud. L’autorité politique était déjà concentrée dans les mains des Virginiens; il ne leur manquait plus que l’autorité militaire, de grands commandemens à distribuer, des armées à diriger. Des attaques aussi directes, aussi personnelles, poussèrent au comble la fureur des démocrates. Aussi ne lâcha-t-on pas contre lui la horde des orateurs de second ordre. Henri Clay lui-même, le président de la chambre, descendit dans la lice. Sa philippique dura trois jours entiers. Il voulait, dit-on, forcer Quincy à un duel. Il y a dans sa longue diatribe une éloquence presque sauvage. Il rappela la proposition que Quincy avait faite autrefois pour mettre Jefferson en jugement, proposition qui n’avait obtenu qu’une voix. Ce vote solitaire devait assurer à Quincy, à côté de l’immortalité glorieuse de Jefferson, une immortalité d’infamie,