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que le commerce américain était plus nécessaire à l’Europe que celui d’Europe à l’Amérique, il avait, par le célèbre acte dit d’embargo, fermé les ports des États-Unis à toutes les marines et même aux vaisseaux américains. L’Amérique frappait son commerce de ses propres mains. Il ne déplaisait pas à Jefferson qu’elle essayât de s’isoler entièrement de l’Europe, de se suffire à elle-même, de développer ses vastes ressources, et d’opposer au tableau des folies de l’ambition et de la conquête le spectacle des vertus et des prospérités d’une république pacifique. Ce rêve, il est vrai, coûtait un peu cher aux états du nord : il ruinait le Maine et le Massachusetts. Malgré les efforts et l’éloquence de Quincy, la loi d’embargo fut votée ; il eut le chagrin en cette occasion de voir son ami John Quincy Adams se séparer au sénat du parti fédéraliste et donner son appui à l’administration. L’amertume de leur division politique n’aigrit point toutefois leurs sentimens réciproques. Quincy écrivait à sa femme : « Adams est mon ami autant qu’il l’a jamais été. Il a le droit d’avoir son opinion comme j’ai le droit d’avoir la mienne. Il se sépare de ses amis politiques et on l’accable d’injures. Ne nous joignons point à ces attaques. »

Les discours de Quincy sur les questions soulevées par la politique de Jefferson sont très remarquables. Ils ont une trame serrée, une puissante logique, un choix de mots et une noblesse qui ne vont cependant jamais jusqu’à la rhétorique. Il ne craint pas de dire au peuple américain ses vérités. « Nous ne sommes qu’une jeune nation. Toute notre existence nationale n’a été qu’une série non interrompue de prospérités. Les misères de la révolution n’étaient que les angoisses de l’enfantement. Craignons d’être étourdis par notre bonne fortune et d’attribuer nos succès à notre sagesse plutôt qu’au cours des événemens et à un entraînement de circonstances sur lesquels nous n’avions aucune influence. » Il n’avait pas de peine à démontrer combien l’isolement des États-Unis et la ruine de la marine américaine seraient choses fatales, combien une nation se trompait sur son importance relative quand elle croyait que son commerce ou son existence était d’une importance suprême pour l’univers. Il comparait plaisamment l’Amérique interrompant volontairement ses rapports avec le reste du monde à un individu qui croirait se venger de ses ennemis en cessant de parler. Toutes les fois qu’il plaidait pour le commerce, on voit qu’il pensait à ses braves marins du Massachusetts. Son éloquence prenait alors une certaine saveur âpre et familière ; il plaisantait agréablement sur les idylles des députés qui ne parlaient qu’agriculture, vie des champs, troupeaux, et allaient jusqu’à regretter que les États-Unis eussent des ports et des vaisseaux. Il parlait à ces Théocrites d’une nouvelle espèce de gens habitués à vivre sur la mer, à