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la marine anglaise réclamait le droit de visiter les vaisseaux marchands sur toutes les mers et d’y arrêter tout matelot sujet du roi George. Durant le court ministère des whigs, en 1806, le commerce américain respira un moment : James Monroe et Pinckney conclurent avec lord Grenville un traité aux termes duquel le droit de visite ne devait être exercé que dans les cas où il y aurait une forte présomption de trouver des déserteurs anglais à bord des navires américains; mais Jefferson refusa de ratifier le traité conclu par ses envoyés, et dans cette circonstance critique il usa de la plénitude de sa prérogative, car il ne consulta ni le sénat, ni même son cabinet, et se mit seulement d’accord avec M. Madison, son secrétaire d’état. Nous ne pouvons le blâmer de cette conduite; reconnaître le droit de visite, comme l’entendait alors l’Angleterre, même sous une forme mitigée, n’était pas digne d’une grande nation. C’était livrer le commerce américain à l’arbitraire des capitaines anglais et se préparer ainsi de perpétuels embarras. Les fédéralistes et Quincy avec eux ne voulurent voir dans le veto de Jefferson qu’une marque de condescendance envers le souverain de la France : grands partisans en théorie de la prérogative présidentielle, ils accusèrent injustement le président d’excès de pouvoir et d’usurpation.

L’affaire dite du Chesapeake avait porté au comble l’exaspération du peuple américain. Au mois de juin 1805, l’amiral anglais Berkeley, commandant la station de l’Amérique du Nord, fatigué de voir déserter ses matelots, ordonna à tous les officiers de sa flotte de chercher le vaisseau américain Chesapeake, et de le visiter pour y reprendre les déserteurs anglais. Le capitaine Humphries, du Léopard, suivit le Chesapeake, qui se rendait à la station de la Méditerranée; il l’arrêta en pleine mer, et sur le refus du capitaine américain de se soumettre à la visite il fit tirer le canon. Trois hommes furent tués et huit blessés à bord du Chesapeake, où rien n’était préparé pour la défense et qui dut amener son pavillon. Le capitaine anglais arrêta quatre matelots, en pendit un et enrôla les trois autres dans son propre équipage, bien qu’ils fussent Américains. Le gouvernement anglais désavoua peu après l’amiral Berkeley, et offrit de rendre les trois matelots; mais la juste colère du peuple américain ne put être apaisée par ces vains témoignages d’un regret qu’il ne croyait pas sincère, et Jefferson ne fit qu’obéir au sentiment national en rejetant un traité qui reconnaissait le principe du droit de visite. Il est des circonstances où une nation doit mettre son honneur au-dessus des intérêts les plus pressans.

Une session extraordinaire fut ouverte en ces graves circonstances. Quincy devint le chef reconnu des fédéralistes au congrès. Jefferson persistait dans son système de restrictions commerciales. Convaincu