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mystère et contradiction dans l’hypothèse de l’origine surnaturelle devient dans l’hypothèse de l’origine naturelle une réalité historique, c’est-à-dire une chose qui a, malgré son caractère plus élevé et plus délicat, les imperfections et les lacunes des choses humaines. Pour ne citer qu’un exemple, l’Ancien-Testament, s’il est considéré comme écrit sous la dictée de l’Esprit-Saint, offre les plus nombreuses et les plus choquantes anomalies. La sagesse de Jéhovah, sa bonté, sa justice, sa providence, ne répondent pas toujours à l’idéal de la conscience et de la raison universelle. Le peuple de Dieu commet sous le commandement divin des actes de cruauté et de barbarie pour lesquels il ne peut mériter que la réprobation d’un Dieu juste et bon. À ce point de vue, la contradiction est absolument inexplicable malgré toutes les subtilités de la théologie, qui n’a ici que la ressource du mystère. Et quel mystère ! Une violation manifeste de la loi morale. Si au contraire l’Ancien-Testament est considéré comme l’analogue des monumens où le génie des peuples se montre dans toute la naïveté de leur vie primitive, quoi de plus naturel, de plus simple, de plus attachant que cette histoire biblique, tour à tour naïve, charmante, terrible et sublime?

Enfin la critique prétend avoir fondé une véritable science des religions en ramenant l’objet religieux, mythes, symboles, légendes, dogmes, aux simples proportions de l’histoire et de la psychologie. Cette science, la plus intéressante de toutes les études historiques avec l’histoire des systèmes philosophiques pour les esprits élevés auxquels l’histoire des faits extérieurs et politiques ne suffit point, a pris sa place définitive dans la grande encyclopédie du XIXe siècle, grâce à une série non interrompue de solides et profonds travaux dont l’école allemande garde jusqu’ici le principal mérite. On pourra rectifier, corriger, confirmer, surtout compléter certains résultats de la critique religieuse; on n’en détruira pas les conclusions générales. La science des religions a son objet, sa méthode, ses principes, ses grandes applications, qu’elle regarde comme désormais assurées contre toute réfutation théologique.

Science des religions est le mot exact. La critique du XIXe siècle semble avoir tous les caractères auxquels répond ce titre. Tout entière à l’érudition et à l’analyse historique, elle s’en tient à la réalité qu’elle constate, décrit, classe, explique, sans sortir des conditions de la connaissance positive. Qu’est-ce qu’un mythe? qu’est-ce qu’un symbole? Comment parviennent-ils à se former et à se produire? Quelles sont les circonstances sociales, politiques, historiques, géographiques, favorables à l’épanouissement des mythes et des symboles ? Comment arrivent-ils à se corrompre et à se dénaturer ? Par quelles affinités naturelles de race et de peuple, par quel concours de causes extérieures, les institutions religieuses as-