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cevez-vous le bonheur d’une reine de la Grande-Bretagne qui couche dans une auberge, et qui s’endort de fatigue dans un mauvais lit? Quel plaisir de voyager incognito, de se faire passer pour de nouveaux mariés dont la noce vient de se faire à Aberdeen ! Et quelles terreurs quand on entend le tambour, maudit tambour qui annonce peut-être que le précieux incognito est dévoilé ! Il nous reste à donner un échantillon du journal de la reine, et nous le prenons dans cette partie du volume.


« Hôtel de Grantown, 4 septembre 1860.

« Les montagnes ont disparu graduellement; la soirée a été calme malgré quelques gouttes de pluie. Nos attelages allaient toujours, toujours; nous avons vu enfin des lumières, traversé un long village bien écarté, et tourné dans une petite cour à la porte de l’hôtel où nous sommes. En haut d’un petit escalier, on nous a montré notre chambre à coucher, petite, mais propre, avec un grand lit qui la remplissait presque entièrement. En face, un salon, qui est aussi notre salle à manger, commode et spacieux, puis le cabinet de toilette d’Albert, très petit. Après notre toilette, nous nous sommes mis à table. Grant et Brown, par timidité, n’ont osé nous servir[1]. Une fille en cheveux tout bouclés a fait le service à elle seule. Après le dîner, elle a ôté la nappe et a mis sur la table notre bouteille de vin et les verres, suivant l’ancienne mode anglaise. Bon dîner et fort proprement servi : une soupe, vrai salmigondis, hodge-podge, un bouillon de mouton avec des légumes que j’ai médiocrement goûté, une volaille à la sauce blanche, un bon rôti d’agneau, des pommes de terre excellentes, un ou deux autres plats auxquels je n’ai pas touché et enfin une tarte de groseilles à grappes. Après dîner, j’ai essayé d’écrire une partie de ceci malgré le bruit des conversations qui m’étourdit; Albert fait des patiences avec les enfans. »


« 5 septembre.

« Temps couvert et de pluie. J’avais mal dormi. Levés de bonne heure, nous sommes restés à travailler et à lire dans le salon jusqu’au déjeuner. Bon thé, pain, beurre et une excellente soupe. Jane Shackle, très attentive et qui nous a été bien utile, nous a raconté que les domestiques avaient soupe ensemble et qu’ils s’étaient bien amusés dans la salle commune. Les gens de l’auberge étaient fort divertissans. La fille aux cheveux bouclés était venue dire à Grant : « Le docteur Grey (prince Albert) vous demande, » ce qui faillit leur faire perdre contenance. « Votre dame n’est pas difficile à servir, » telle est l’observation qu’ils ont faite à Jane.

  1. C’était la première fois que la reine dînait hors de Balmoral, et elle n’avait pas emmené de laquais faisant le service de la table.