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Rien ne ressemble moins à la vie anxieuse, fatiguée, agacée, de l’Europe que la vie des États-Unis. Le peuple américain n’est point certes à l’abri des crises les plus sérieuses ; il s’en créerait au besoin, s’il ne trouvait pas sur son chemin toutes celles que le mouvement naturel des choses lui apporte. Il est certain du moins qu’au milieu de ces difficultés de tous les jours il marche avec une vigueur d’allure, et un sentiment de force inhérens à un tempérament national formé au grand air de la liberté. Les questions se succèdent et se multiplient, les intérêts et les passions se déploient, pouvoir exécutif et congrès se heurtent ; la vie américaine ne suit pas moins son cours, et cette énergique race se joue avec une aisance audacieuse dans des épreuves où d’autres sombreraient au premier pas. Assurément c’est toujours une crise des plus graves qu’un conflit entre le chef de l’état et une assemblée populaire ; elle n’est pas si grave là où le sens légal est tellement enraciné qu’il ne peut venir à l’idée de personne d’en finir par la force, et c’est ce qui explique comment le président Andrews Johnson a pu être mis en accusation sans disparaître totalement devant une telle manifestation de puissance législative, comment aussi il a pu être acquitté sans que le congrès en ait souffert dans son légitime ascendant. Chacun était dans son droit. Le conflit s’est déroulé devant le peuple, le grand spectateur de ces scènes, et tout a fini sans violence. M. Johnson est resté à la Maison-Blanche, subissant cette épreuve avec une réserve et un calme qui n’ont pas été sans dignité. Le congrès, de son côté, procède lentement, laborieusement, à la reconstruction de l’Union, cette œuvre difficile léguée par la guerre civile, volant la réincorporation successive des états du sud. À vrai dire, entre ces deux pouvoirs qui sont entrés en lutte justement sur cette œuvre de reconstruction bien plus que sur une question de prérogative dans le choix d’un secrétaire d’état de la guerre, entre ces deux pouvoirs hostiles les rapports ne sont pas des meilleurs, les défiances sont loin d’être dissipées, l’antagonisme subsiste encore ; mais le duel judiciaire s’est terminé d’une façon peut-être imprévue, car on s’attendait visiblement à une condamnation. Légalement donc M. Johnson est sorti intact du procès dirigé contre lui, moralement il reste avec une maigre victoire. Si ses adversaires ont montré contre lui un acharnement excessif, si ce président n’est rien moins qu’un machinateur de coups d’état, il avait du moins en peu de temps accumulé assez de gaucheries et d’intempérances de langage pour se faire une situation qui n’est pas plus facile aujourd’hui qu’avant son procès. Il était monté à la présidence par le hasard du meurtre qui avait frappé Lincoln ; il sortira de la Maison-Blanche pour n’y plus rentrer sans doute, et les quelques mois de pouvoir qui lui restent encore vont être assez remplis pour n’être point marqués par des péripéties nouvelles dans cette lutte entre une présidence expirante et le congrès. Cette lutte est déjà une vieille histoire.