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ont révélé une situation morale des plus graves ; mais ce qui domine, c’est la préoccupation financière, et un des mérites du ministère actuel, c’est de s’être adonné tout entier à cette reconstitution des finances avec une patiente et froide ténacité, sans illusion, sans parti-pris, sans dissimuler l’extrémité où l’Italie se trouvait. Les chambres, stimulées par le pays lui-même, ramenées sans cesse à la question par le gouvernement, ont fini par se mettre à cette discussion, un peu prolongée à vrai dire, un peu confuse, où le ministre des finances, M. Cambray-Digny, montre réellement autant de zèle que de sincérité. Chose curieuse, le ministre dont on attendait le moins est celui qui est tout près d’atteindre les résultats les plus décisifs. Il n’y avait plus à reculer, l’Italie se trouvait en face d’un arriéré, d’un déficit dépassant 800 millions. L’état doit 400 millions à la banque, dont les billets ne cesseront d’avoir cours forcé qu’après remboursement ; il y a de plus 250 millions de bons du trésor ; le reste se compose d’un déficit courant qui en 1869 atteindra 230 millions. La première chose à faire était évidemment d’assurer au budget des ressources normales pour dégager l’avenir et soutenir le crédit. C’est ce qui a été fait au moyen d’une série de lois, dont la principale est la loi sur la mouture, et qui dans leur ensemble réduisent le déficit à un chiffre d’une quarantaine de millions, qui disparaîtra lui-même facilement par quelques économies nouvelles et par le mouvement naturel de la richesse publique ; mais même avec ces lois il restait toujours le déficit de 230 millions jusqu’en 1869. M. Cambray-Digny vient d’y faire face par une opération habile et hardie : il a traité avec une compagnie italienne et étrangère qui se charge de la régie des tabacs, en prenant pour base de la redevance due à l’état le produit de l’année courante. Au-delà de cette redevance, l’état a droit à 30 pour 100 des bénéfices dans les quatre premières années, à 40 pour 100 dans les quatre années suivantes, pour arriver ensuite à un partage égal. Enfin la compagnie avance à l’état 180 millions remboursables en vingt annuités, et de plus elle lui achète au prix de 50 millions les provisions qui existent dans les magasins publics. De cette façon le gouvernement a dès ce moment les 230 millions qui lui sont nécessaires pour combler le déficit jusqu’à la fin de 1869. Cela fait, le ministre des finances italien paraît devoir recourir à une opération sur les biens ecclésiastiques pour rembourser les bons du trésor et la banque en faisant cesser le cours forcé, et la situation se trouvera ainsi notablement dégagée.

Jusque-là tout serait bien. Malheureusement, dans les combinaisons diverses par lesquelles l’Italie cherche à restaurer ses finances, une erreur s’est glissée qui peut détruire ou du moins atténuer l’effet de tout le reste. L’Italie a fait ce que vient de faire l’Autriche de son côté. Les deux anciennes rivales se sont rencontrées sur le même terrain pour imposer les titres de la dette qui sont entre les mains des étrangers. M. Cambray-Digny avait prudemment évité le piège ; dans ses proposi-