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pas moins ourdi habilement leur complot ; ils devaient faire place nette et tuer tous les ministres en même temps que le prince Michel. Ils ont été arrêtés à mi-chemin, et n’ont pu faire que la moitié de leur œuvre. Ce qui a sans doute empêché une révolution dont il eût été difficile de calculer les suites, c’est la vigoureuse promptitude avec laquelle le gouvernement, inspiré par le ministre de la guerre, s’est hâté de mettre la Servie en état de siège d’abord, puis de proclamer provisoirement comme souverain le jeune Milano Obrenovitch, neveu du prince assassiné, en réservant d’ailleurs à l’assemblée nationale, la skuptchina, le droit de décider définitivement. Une circonstance aurait pu aggraver singulièrement cette question serbe naissant ainsi à l’improviste : c’eût été si le meurtre du prince Michel était devenu immédiatement l’occasion d’une lutte d’influences entre les puissances européennes. Il n’en a rien été heureusement. Les cabinets ont paru, dès le premier instant, infiniment plus préoccupés d’éteindre le feu que de l’allumer. La Turquie, comme puissance suzeraine, s’est abstenue de toute intervention, même de toute suggestion blessante pour l’indépendance de la Servie, et c’était assurément la plus habile politique. La Russie elle-même a évité de faire acte d’influence dans un pareil moment. L’Autriche n’a eu qu’une pensée, celle de couper court à toute difficulté en favorisant la combinaison la plus simple, c’est-à-dire l’avènement du prince Milano, et la France, l’Angleterre, ont senti la nécessité de suivre l’Autriche dans cette voie. Milano Obrenovitch a donc été proclamé prince souverain de Servie, et selon toute apparence il va être confirmé dans la dignité princièVe par la skuptchina ; mais ce serait une dangereuse erreur de croire que tout est fini par cela même ; c’est peut-être au contraire le moment où, à la faveur d’une minorité, à l’ombre d’une régence qu’il sera difficile de constituer, toutes les rivalités vont éclater de nouveau, toutes les passions vont se réveiller, les partis vont se remettre à l’œuvre, et cela veut dire qu’au nombre de tous les points faibles, maladifs de l’Europe, on en compte aujourd’hui un de plus : c’est la Servie. Or la question de la Servie, c’est le commencement de la question d’Orient.

En attendant que ces terribles questions d’Orient ou d’Allemagne laissent voir ce qu’elles contiennent, les finances, nous le disions, sont la préoccupation et la grande affaire de bien des pays. Elles sont l’obsession de l’Autriche, où les chambres, après avoir voté les lois confessionnelles, la loi sur le mariage civil, sont livrées à l’élaboration d’un budget, et depuis six mois elles sont à peu près l’unique souci de l’Italie. Ce n’est pas que pour l’Italie, comme pour l’Autriche, il n’y ait bien d’autres questions, que la politique proprement dite ait cessé d’absorber les esprits. L’Italie n’a point assurément renoncé à Rome, elle n’a point réconcilié Turin avec Florence, elle n’a point désarmé le brigandage, et récemment encore, dans certaines provinces telles que la Romagne, des incidens tragiques, des meurtres dont des magistrats ont été les victimes,