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mestique, et au bout de cinq mois il était de retour, heureux sans doute des souvenirs qu’il rapportait, mais plus heureux encore de retrouver sa famille, ses amis, son cabinet de travail et ses livres. À partir de ce moment, sa vie se partage par portions égales entre Boston, où il passait toujours l’hiver, une petite villa au bord de la mer, où il se réfugiait durant les grandes chaleurs de l’été, et sa maison de campagne favorite de Pepperell, où s’écoulait pour lui l’automne, la plus belle des saisons de l’autre côté de l’Atlantique. À mesure qu’il avançait en âge, il s’attachait de plus en plus à cette maison dont ses ancêtres avaient acheté le sol aux Indiens, chose bien rare en Amérique, où, nous dit-il lui-même, le fils s’assoit rarement à l’ombre des arbres que le père a plantés. Il avait dû agrandir progressivement la modeste habitation, afin d’y pouvoir loger sa nombreuse famille. Chaque jour il se plaisait à l’embellir, et c’était chez lui une préoccupation constante qu’après sa mort elle ne sortît pas de sa famille. Il menait là une patriarcale existence, entouré de ses enfans et déjà, quoique bien jeune encore, de ses petits-enfans, ne connaissant guère à ses études quotidiennes d’autre distraction que celle de recevoir la visite de ses nombreux amis et des étrangers qui, attirés par sa renommée toujours croissante, ne voulaient pas quitter l’Amérique sans l’avoir vu.

Son ardeur pour le travail était loin, au reste, d’aller en s’affaiblissant. L’œuvre à laquelle il consacra les dernières années de sa vie ne lui coûta ni moins de recherches ni moins de travaux que les précédentes. C’était une Vie de Philippe II. Depuis longtemps déjà il avait conçu le plan d’une histoire détaillée de ce règne illustre et néfaste. Au moment de son retour d’Angleterre, il y avait dix ans que, par l’intermédiaire d’amis dévoués, à Vienne, à Florence, à Venise, à Paris, à Londres, il s’occupait de faire rechercher les matériaux du grand édifice qu’il projetait d’élever. D’aussi longs préparatifs avaient fini par ébruiter ses projets. Aussi reçut-il un jour la visite d’un jeune homme qui vint le trouver plein d’embarras. Il était sur le point, disait-il, de faire paraître une histoire de la révolution des Flandres sous Philippe II, quand il avait appris la dangereuse concurrence à laquelle il s’exposait, et il croyait de son devoir, à lui jeune et inconnu, d’offrir à son glorieux rival d’abandonner le terrain que tous deux avaient choisi. Loin d’encourager son jeune visiteur dans cette idée, Prescott le pressa de persévérer dans son dessein, et, joignant l’action à la parole, il mit sur-le-champ les ouvrages spéciaux de sa bibliothèque à la disposition de son loyal concurrent. Ce visiteur inconnu était M. Lothrop Motley, qui depuis s’est acquis une si juste réputation par son Histoire de la République des Pays-Bas. L’activité de Prescott ayant en réalité