Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour que la moindre exagération de couleurs, le moindre éclat de ton n’eût pas refroidi l’intérêt en jetant l’esprit dans une certaine défiance. Prescott a vu le danger, et s’est soigneusement préoccupé de l’éviter. Peut-être devons-nous à cette préoccupation l’étude approfondie sur la civilisation antérieure du Mexique qui ouvre le premier volume. Cette étude, qui, tout en mettant la curiosité en éveil, dirige en même temps l’esprit vers les plus graves problèmes, suffirait à elle seule pour donner à l’Histoire de la conquête du Mexique le caractère d’une œuvre de science historique; mais où triomphe véritablement la manière à la fois sobre et habile de Prescott, c’est dans le soin qu’il prend de ne pas faire à la portion guerrière de son récit une place trop grande, de ne pas se complaire uniquement dans les descriptions et les combats, de ne pas laisser dans l’ombre le caractère semi-religieux dont leur expédition se revêtait aux yeux des Espagnols. Sans cesse il met en relief ce côté saisissant et vraiment original de l’aventure tentée par Fernand Cortez. Aussi en a-t-il été récompensé, et aucune page de son livre ne le cède en intérêt à celles où nous voyons Cortez tantôt s’acharnant au péril de sa vie à la destruction des idoles et tout prêt, comme Polyeucte,

A mourir dans leur temple ou les y terrasser,


tantôt s’obstinant, en dépit des protestations du sage frère Olméida, à faire administrer le baptême à deux ou trois mille malheureux à peine remis de l’épouvante que leur avaient causée la vue des chevaux et le bruit du canon, tantôt, pour faire arriver aux oreilles des infidèles les purs et sévères préceptes de la doctrine évangélique, se servant de l’intermédiaire d’une jeune Indienne convertie, dont il ne paraît pas que lui-même ait eu le courage de repousser la tendresse passionnée. Si l’on ajoute à cela des récits de combats qui rappellent ceux de l’Iliade, des descriptions qui font penser aux Martyrs, l’on comprend que l’Histoire de la conquête du Mexique tienne le premier rang dans la littérature américaine, et l’on est forcé de convenir que dans notre vieille Europe il n’est pas aisé de trouver un ouvrage du même genre qu’on puisse de propos délibéré mettre au-dessus.

Bien peu de temps après l’Histoire de la conquête du Mexique dans la chronologie de la vie de Prescott, bien loin en arrière à considérer le rang qu’elle mérite de tenir dans ses œuvres, vient l’Histoire de la conquête du Pérou. Cette histoire est inférieure de tout point à la précédente, moins peut-être à raison de la manière dont le sujet a été traité qu’à raison du sujet lui-même et de la différence dans l’intérêt que les deux expéditions et les héros des deux