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un jeune homme familier avec l’espagnol et le français, deux langues, l’espagnol surtout, dans lesquelles les lettrés américains ne sont pas tous versés. Le résultat des premières recherches de Prescott étant resté infructueux, il essaya de se passer de cette aide. On aura peine à croire qu’il eut le courage de se faire lire sept volumes in-quarto en espagnol par quelqu’un qui n’en comprenait pas un mot. L’imagination s’effraie des prodigieux efforts de tête qu’il lui a fallu faire pour tirer quelque profit d’une lecture purement matérielle et probablement les trois quarts du temps inintelligible. Les amis de Prescott ne prenaient cependant pas leur parti de le voir si pauvrement secondé, et M. Ticknor, qui continuait d’être chargé du cours d’espagnol à l’université d’Harvard, finit par lui trouver parmi ses élèves un jeune homme à la fois capable et désireux de s’associer à ses travaux. Ce fut à partir du jour où Prescott connut M. James English qu’il commença véritablement l’Histoire de Ferdinand et d’Isabelle.

Ce premier obstacle franchi, il s’agissait pour Prescott de se familiariser avec les difficultés d’un travail en quelque sorte impersonnel. Pour y parvenir, il adopta certains procédés auxquels il devait rester fidèle jusqu’à la fin de sa vie. Le résultat auquel il est arrivé a été assez brillant pour qu’il ne soit pas sans intérêt de connaître la méthode qu’il a suivie. Un mot d’abord sur ses habitudes de vie et sur les précautions auxquelles il était obligé d’avoir recours pour ménager sa vue affaiblie. La pièce où il travaillait était éclairée par deux fenêtres. L’une des deux, située à l’un des coins de la chambre, était percée très haut dans la muraille. C’était par là qu’arrivait le jour, et le secrétaire de Prescott avait sa chaise et son bureau tout auprès. L’autre était au contraire couverte de trois rideaux de mousseline bleue superposés, se relevant chacun à l’aide d’un cordon différent. En face de cette fenêtre, le mur était caché par un grand paravent vert. Le bureau de Prescott, soigneusement préservé par un écran de la lueur du foyer, occupait le centre de la chambre. C’est là qu’il se plaçait lorsqu’il voulait entendre lire en prenant des notes. Il s’asseyait le dos tourné à la fenêtre, de façon que le jour qui tombait sur son papier fût un jour adouci, et qu’en levant la tête il reposât ses yeux sur la couleur verte du paravent. Quant au contraire il voulait lire lui-même (ce qu’il était bien rarement en état de faire), il approchait sa chaise de la fenêtre couverte de rideaux de mousseline, que, sans lever les yeux de son livre, il abaissait ou relevait sans cesse. Il était sensible aux moindres variations du ciel, et il ne passait pas un nuage sur le soleil sans qu’une modification quelconque dans la distribution de la lumière ne devînt nécessaire. Aussi connaissait-il les cordons de ses différens rideaux comme un matelot connaît le gréement de