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On voit par ce qui précède que l’entretien d’un équipage est une chose assez dispendieuse, et qu’il faut déjà une assez belle fortune pour pouvoir y consacrer annuellement 30 ou 40,000 francs, sans compter le prix de location des forêts et les indemnités à payer aux riverains pour les dommages que le gibier cause aux récoltes. Aussi le plus souvent les dépenses de ces chasses sont-elles supportées par une société d’actionnaires qui se réunissent pour jouir de ce plaisir en commun, et qui, grâce aux chemins de fer, peuvent partir le matin de Paris et rentrer le soir chez eux après une chasse à courre dans la forêt de Chantilly ou dans celle de Villers-Cotterets. Quant au souverain, il a à sa disposition les différentes forêts affectées à la dotation de la couronne, et, pas plus qu’un simple particulier, il n’a le droit de chasser hors de chez lui. C’est tout ce qui lui reste des droits exorbitans de l’ancienne monarchie ; mais la part est encore assez belle, et les forêts de Fontainebleau, de Compiègne, de l’Aiguë, de Rambouillet, de Marly et de Saint-Germain ont de quoi satisfaire les plus difficiles.

La vénerie, qui avait été engloutie dans le désastre de la royauté, fut rétablie par Napoléon Ier, qui ne perdait aucune occasion de revenir aux anciens usages monarchiques. Il dépensait annuellement pour cet objet une somme de 400,000 francs, et, bien que personnellement il n’aimât pas la chasse, il y tenait néanmoins pour rehausser l’éclat du trône. Louis XVIII et Charles X, en conservant ce service, ne firent que se conformer aux traditions de leurs ancêtres. Quant à Louis-Philippe, se rappelant toutes les plaintes dont la chasse avait été l’objet de la part du peuple, et, pensant avec raison qu’un roi constitutionnel n’avait pas besoin de cet éclat factice, il ne monta pas sa maison, et laissa chasser ses fils avec des équipages qui ne différaient pas beaucoup de ceux des riches particuliers ; ils chassaient pour leur plaisir et non pour faire de la politique.

Le second empire ne manqua point de suivre ici comme ailleurs les erremens du premier, et la vénerie reparut montée sur un aussi grand pied qu’autrefois. Tout le monde s’accorde à dire qu’elle est parfaitement organisée, que les meutes, composées de chiens de premier choix, laissent rarement échapper un cerf, une fois qu’il est lancé ; mais, si l’on tient compte des dépenses que coûtent à la liste civile le personnel et le matériel, les indemnités payées aux riverains pour les dégâts commis par le gibier, les dommages causés au bois ou les frais nécessaires pour les atténuer, on arrive à un chiffre qu’on ne peut guère évaluer à moins de 900,000 fr. par an. Or, en supposant que le chef de l’état chasse trente fois dans l’année tant à courre qu’à tir, chacune de ces chasses lui revient à 30,000 francs.