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Les Romains paraissent avoir eu d’abord peu de goût pour la chasse ; ce furent les Scipions à leur retour de Grèce qui la mirent à la mode, et l’amour de la chasse se développa assez rapidement pour que tous les poètes en fassent mention. On formait de vastes enceintes avec des panneaux de toiles et de cordes emplumées ; des bandes nombreuses de traqueurs et des meutes de chiens y poussaient les animaux pendant que les hommes à cheval les empêchaient de forcer la ligne des panneaux. Sous l’empire, la chasse tomba en désuétude, la fureur du sang trouvant à se satisfaire dans les jeux du cirque ; on alla même jusqu’à défendre de tuer les lions, afin de les réserver pour ces plaisirs populaires. On les prenait vivans au moyen de fosses ou de panneaux dans lesquels ils étaient attirés par des appâts.

La vraie patrie de la chasse est la Gaule, qui, couverte de forêts, de landes et de marais, était peuplée d’une foule d’animaux sauvages, dont les uns, comme les cerfs, les chevreuils, les lièvres, se rencontrent encore aujourd’hui, mais dont les autres sont relégués dans les contrées septentrionales du continent : tels sont l’urus ou aurochs, le bison barbu, l’élan, le bouquetin, l’ours, le lynx, le castor. Ces forêts immenses étaient véritablement alors, suivant l’expression du poète, les étables des bêtes sauvages, stabula alla ferarum. Les Gaulois chassaient ces animaux au moyen de flèches, mais sans toiles ni panneaux et seulement avec des chiens dressés à s’en emparer à la course. Cette passion survécut à l’invasion des barbares, car les Germains, peu adonnés à l’agriculture, vivaient à peu près exclusivement des produits de leurs troupeaux et de leurs chasses, et, comme les Gaulois, y consacraient tout le temps qu’ils n’employaient pas à la guerre. Les Burgondes, les Visigoths, les Francs, étaient éminemment chasseurs, et les anciennes chroniques racontent les prouesses de leurs princes. Cet amour de la chasse leur fut souvent reproché par de pieux personnages. « Leur démence va à ce point, dit Jonas d’Orléans dans son Institution laïque, qu’aux jours de fête et le dimanche ils abandonnent l’office divin pour la chasse, et que pour un tel passe-temps ils négligent le salut de leurs âmes et des âmes dont ils ont charge, trouvant moins de plaisir aux hymnes des anges qu’aux aboiemens des chiens. » Ce goût était commun à toutes les classes du peuple franc, depuis les rois et leurs leudes jusqu’aux plus pauvres des hommes libres, et même au clergé. À cette époque en effet, la chasse était libre, car les forêts étaient communes ; ce ne fut que peu à peu qu’elles passèrent à l’état de propriété privée. Les rois se réservèrent d’abord les principaux massifs boisés ; les grands chefs firent de même pour les bois moins considérables, et arrivè-