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de vicariat n’est plus admise, et on regarde chacun des organes sécréteurs comme ayant son rôle tout à fait caractéristique.

Veut-on un exemple de la variété des sécrétions, on peut examiner sommairement celles qui se produisent le long du canal digestif. Voici d’abord, à l’origine de ce canal, les salives, qui sont composées différemment, suivant les glandes qui les fournissent : la glande parotide sécrète pour la mastication, la glande sous-maxillaire pour la gustation, la glande sublinguale et les glandules buccales pour la déglutition[1]. Voici plus loin le suc gastrique qui sort de la membrane muqueuse de l’estomac ; il est caractérisé par un ferment digestif, la pepsine. Le foie a une sécrétion double ; il donne la bile et le glycogène, comme nous l’exposerons dans un instant, car il nous faudra revenir sur ce sujet, qui rappelle une des plus brillantes découvertes de la physiologie contemporaine. Le pancréas donne un suc spécial, la pancréatine, qui a la propriété de saponifier les corps gras et de les rendre ainsi propres à entrer dans l’organisme ; quand la pancréatine vient à manquer, les substances grasses sont rejetées sans subir aucune digestion.

Il existe encore d’autres sécrétions intestinales qui agissent sur les alimens ; mais il en est une que M. Claude Bernard a signalée récemment et qui donne au phénomène de la digestion une physionomie toute nouvelle. On a supposé pendant longtemps que les alimens élaborés par la digestion sont directement absorbés dans le sang. M. Claude Bernard fait à cette théorie des objections graves. Si le sang était le résultat direct de l’absorption alimentaire, il devrait changer de composition dans un même animal suivant le mode de nourriture, il devrait surtout avoir une constitution différente chez les herbivores et les carnivores. Or on constate qu’il conserve une composition sensiblement constante malgré la diversité des alimentations. Il faut ajouter que les principes immédiats du sang, tels que l’albumine, la fibrine, ne se rencontrent pas tout formés dans le canal intestinal, et qu’il faut par conséquent qu’ils soient élaborés quelque part avant d’entrer dans le sang. Guidé par ces idées, M. Claude Bernard a commencé une série de recherches dont les détails sont encore inédits, mais qui l’ont conduit à admettre qu’entre l’élaboration digestive qui se fait dans l’intestin et l’ab-

  1. C’est M. Claude Bernard qui a découvert le rôle des différentes salives, et les études qu’il a faites sur les organes salivaires éclairent la théorie générale des sécrétions. Ainsi il a montré que les salives se forment pendant le repos des glandes, par une sorte de travail de nutrition ; la circulation sanguine est alors peu active, le sang sort des veines glandulaires tout à fait noir et dépourvu d’oxygène. L’émission salivaire se fait par une excitation nerveuse de la glande ; la circulation s’active alors, et pendant cette phase le sang veineux est rouge comme du sang artériel.