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Une fois placés à ce point de vue, l’action réciproque du système sanguin et du système nerveux nous apparaît dans toutes les parties de l’organisme. Nous la constatons dans les circulations locales et le jeu des petits vaisseaux, nous la reconnaissons dans la circulation générale, nous la voyons même se produire directement entre les deux organes qui occupent la tête de la hiérarchie dans les deux systèmes, entre le cœur et le cerveau. Cette action directe est un des aperçus les plus saisissans qui résultent des études récentes de la physiologie. M. Claude Bernard en a entretenu le public en maintes occasions, et notamment dans une brillante conférence qu’il a faite à la Sorbonne au mois de mars 1865. Le cœur reçoit l’impression de nos sentimens et réagit sur eux ; la coutume littéraire qui rapporte à cet organe tant de phénomènes de sensibilité trouve donc jusqu’à un certain point sa justification dans la science. Pour le physiologiste, le cœur est un muscle creux qui chasse le sang dans les artères ; mais c’est un muscle paradoxal qui semble ne pas subir l’influence nerveuse à la façon des autres : on pourrait dire que les nerfs agissent sur lui à contre-sens. Le cœur se contracte de lui-même et conserve ses battemens indépendamment de toute excitation nerveuse. Vient-on à exciter artificiellement le nerf pneumogastrique qui du cerveau se ramifie dans le cœur, cet organe s’arrête brusquement, et l’arrêt est d’autant plus accusé que l’excitation a été plus énergique ; cet arrêt peut même devenir définitif et déterminer ainsi la mort. Si l’excitation du nerf a été modérée, le cœur, après avoir suspendu sa marche un instant, réagit à la façon d’un animal piqué par un aiguillon, et précipite ses battemens comme pour regagner le temps perdu. Or qu’advient-il du cerveau dans ces émotions du cœur ? L’artère carotide apporte directement le sang à la masse cérébrale, et celle-ci est vivement influencée par les modifications subites qui se produisent dans la circulation. L’arrêt du cœur, en suspendant l’afflux du sang, produit une syncope qui peut devenir mortelle. Si cet arrêt est très court, l’afflux ne cesse qu’un instant, et cet état se manifeste par une pâleur momentanée du visage. Si l’arrêt est suivi de pulsations plus vives, le cerveau, plus vivement baigné par le sang, éprouve une surexcitation momentanée. Ces effets divers, dont nous venons de voir l’origine dans l’excitation artificielle du nerf pneumogastrique, se produisent dans la réalité par les actions réflexes que nos sensations exercent sur ce nerf. Des sensations contraires arrivent ainsi à se traduire par le même résultat.

On pâlit de colère aussi bien que de crainte…
On rougit de plaisir aussi bien que de honte…


Une syncope mortelle peut résulter d’une volupté aiguë comme