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par empoisonnemens partiels, on constate que la propriété motrice des nerfs est complètement abolie alors que l’irritabilité musculaire demeure intacte. L’indépendance des deux élémens est ainsi mise en évidence. En poursuivant ses recherches, M. Claude Bernard s’est efforcé d’isoler la propriété motrice du nerf de la propriété sensible. Il préserve de l’action toxique une partie du corps de l’animal, un seul membre, un segment de membre, même un muscle seul avec le nerf qui l’anime; il voit alors que dans la chair empoisonnée la motricité disparaît, tandis que la sensibilité persiste, car la partie qui a été respectée par le curare répond encore par des mouvemens à des piqûres, à des excitations faites sur un autre point du corps.

Ces faits trouvent leur vérification dans une série d’expériences qui en sont comme la contre-épreuve. Le curare isole les propriétés du muscle, du nerf moteur, du nerf sensible, parce qu’il paralyse le nerf moteur seul. D’autres poisons agiront spécialement, l’un sur le muscle, l’autre sur le nerf sensible, et mettront ainsi en lumière l’indépendance fonctionnelle de ces élémens. Le sulfocyanure de potassium détruit la propriété physiologique du muscle, la strychnine celle du nerf sensitif. Ces indications générales donnent une idée sommaire de la division qu’introduit entre les élémens physiologiques la méthode des poisons; mais cette méthode, entre les mains de M. Claude Bernard, conduit à des spécialisations bien plus délicates. Les grandes divisions qui viennent d’être indiquées comportent toute une série de subdivisions. Il y a par exemple parmi les nerfs sensitifs une hiérarchie compliquée, des espèces, des variétés nombreuses. Ces espèces, ces variétés, peuvent dans une certaine mesure être séparées par des procédés toxiques convenablement choisis. Ainsi s’ouvre aux recherches une voie nouvelle brillamment inaugurée par les études sur le curare et la strychnine.

Telles sont les idées que M. Claude Bernard défend avec une conviction profonde, car, ainsi que nous l’avons dit déjà, le progrès de la science consiste surtout pour lui à mettre en lumière les propriétés intrinsèques des élémens physiologiques; mais ici il rencontre sur un point capital une grave contradiction. Tandis qu’il regarde le nerf moteur et le nerf sensitif comme différant non-seulement dans leur fonction, mais dans leur propriété élémentaire, ce résultat est nié par M. Vulpian et avec lui par toute une école de physiologistes. M. Claude Bernard dans la chaire du Collège de France, M. Vulpian dans celle du Muséum d’histoire naturelle, en sont venus à exprimer des vues tout à fait divergentes au sujet du système nerveux, et nous nous trouvons amené à indiquer brièvement la nature de leur controverse.

La distinction des propriétés physiologiques des deux espèces de nerfs ressort pour M. Claude Bernard non-seulement de l’étude des