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Cette prétention se produisit dès l’année 1822 par l’organe de Shaw, élève et parent de Bell, qui en écrivit à Magendie, et qui se chargea de faire valoir devant le monde scientifique les titres du physiologiste anglais. Ces titres furent bientôt appuyés d’un argument qui dut paraître péremptoire aux yeux des savans. L’opuscule de Bell imprimé en 1811 et son mémoire de 1821 étaient fort rares et n’avaient reçu aucune publicité. Bell les réimprima en 1824 dans une Exposition générale du système nerveux de l’homme ; mais, éclairé par les travaux de Magendie, il fit subir au texte primitif les modifications nécessaires pour le mettre en harmonie avec les expériences nouvelles. Les erreurs furent supprimées, les passages compromettans furent dénaturés, et ce qui était à peu près vrai fut habilement poussé jusqu’à le devenir tout à fait. Aussi les physiologistes du temps admirent-ils à peu près unanimement les droits de priorité de Bell, et Magendie lui-même mit une certaine négligence à faire valoir ses propres titres. Il les réclama pourtant avec quelque vivacité en 1847, à la suite d’une séance de l’Académie des Sciences où M. Flourens, lisant une note relative aux effets de l’inhalation de l’éther sur la moelle allongée, attribuait à Charles Bell l’honneur d’avoir localisé le mouvement et le sentiment nerveux. « C’est bien mon œuvre, disait Magendie répondant à M. Flourens, et elle doit rester comme une des colonnes du monument qu’élève depuis le commencement de ce siècle la physiologie française. »

Une circonstance, il faut bien le dire, avait contribué dans les premiers temps à obscurcir les titres de Magendie. Après avoir, au début de l’année 1822, annoncé sa découverte sous une forme très nette et très affirmative, il était devenu tout à coup beaucoup plus réservé dans un second mémoire publié au mois d’octobre de la même année. C’est qu’en effet, toujours jaloux de s’en tenir à la stricte expérimentation, il croyait devoir publier des faits qui atténuaient dans une certaine mesure son affirmation primitive. Il déclarait alors, tout en maintenant sa division fondamentale, qu’il pouvait exister un peu de faculté motrice dans les racines postérieures et une faible action sensitive dans les racines antérieures. C’étaient là les résultats de phénomènes secondaires mal élucidés à cette époque. La racine postérieure donne lieu incidemment, par son influence sur l’antérieure, à des actions réflexes, et de même l’antérieure, en réagissant sur la postérieure, produit ce que l’on appelle maintenant une sensibilité récurrente. Ces faits accessoires furent mis en lumière par Magendie lui-même, et il fit ainsi disparaître dès l’année 1839 ce que ses réserves avaient pu jeter d’incertitude sur ses premiers travaux.

Quoi qu’il en soit, la cause parut jugée entre Bell et Magendie, et