Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/1025

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les dépôts quaternaires. Ces divers animaux, auxquels il faut joindre tout le menu gibier que les seigneurs tenaient à conserver pour leur plaisir et qu’ils multipliaient même au moyen de leur droit de garenne, causaient à l’agriculture d’énormes préjudices. Le mal devint si grand que les rois durent s’en mêler, souvent en vain, et que de nombreux édits se succédèrent, depuis le roi Jean jusqu’aux réclamations énergiques du tiers-état, qui en 1789 appelait la réserve du droit de chasse « le plus redoutable fléau de l’agriculture. »

Quant au déboisement des forêts, il ne fut pas effectué dans toute la France d’une manière uniforme. Les mœurs des populations, la différence des zones climatériques et plus tard la diversité des lois répressives rendirent fort inégale la dévastation des terrains boisés. Le mot de dévastation n’est pas trop fort. Entrepris avec mesure vers le VIe siècle par les moines agriculteurs, le défrichement s’accrut rapidement à la fin du moyen âge et tourna au vandalisme dès le XVe siècle. La multiplication des « usagers, » auxquels les seigneurs, toujours à court d’argent, vendaient l’autorisation d’exploiter leurs forêts, engendra d’innombrables abus. Le ravinement des pentes, les éboulemens, la multiplication des. eaux stagnantes, le débordement des rivières et la ruine de l’agriculture, tels furent les résultats immédiats d’un déboisement rapide et excessif ; aussi fallut-il au XVIIe siècle que des mesures plus efficaces : vinssent suppléer aux édits insuffisans de François Ier et d’Henri IV. Ces édits avaient été depuis longtemps précédés par des lois protectrices, et l’étude de cette législation forestière, si souvent modifiée dans sa forme et dans ses applications, n’est pas la partie la moins intéressante de l’ouvrage d’Alfred Maury. Dès le Ve siècle, les Germains, qui venaient d’un pays plus boisé encore que la France et qui avaient au plus haut degré le respect des arbres, sanctionnèrent par des codes rédigés sous l’influence de la civilisation romaine les usages qu’ils avaient apportés de leur patrie. La loi salique, garantissant en même temps les animaux domestiques et les forêts où ceux-ci trouvaient leur nourriture, contenait de singulières dispositions pénales. Les peines étaient plus sévères en matière de délits forestiers et agricoles que pour les attentats contre les individus[1]. La loi des Lombards condamnait celui qui avait abattu un arbre de réserve à avoir tout au moins le poing coupé, sinon à perdre la vie.

Bien que les forêts communes se rencontrassent surtout chez les populations germaniques, qui leur conservèrent longtemps le caractère indivis, c’est à des princes d’origine teutonique qu’est.due l’introduction du droit forestier qui restreignait la communauté des forêts. Certaines

  1. Tandis qu’on payait quinze sous pour avoir coupé ou brûlé un arbre, ou volé un porc de deux ans, et plus cher même quand il s’agissait d’un verrat, il n’en coûtait que trente sous à celui qui avait frappé un homme à la tête assez violemment « pour en faire sortir trois os. »