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se touchaient presque toutes, s’étendait, plus vaste encore peut-être, la forêt Hercynienne, le pendant de l’Ardenne, qui inspirait aux Romains une véritable terreur. Dans l’Ile-de-France, des déboisemens successifs dégagèrent d’assez bonne heure les environs de l’antique Lutèce. Ces trouées, toutefois n’étaient guère que de larges routes tout le long desquelles s’avançaient jusqu’aux portes de Paris les restes démembrés des forêts primitives. On les y retrouve jusqu’au XIIe siècle. Au nord s’étendaient les forêts de Sarris et de Saint-Denis, qui d’Asnières allaient jusqu’à Argenteuil et Pontoise, recouvraient la plaine de Gennevilliers et tournaient au nord-ouest jusqu’à Neuilly. L’espace qu’on appelle aujourd’hui le Paris de la rive droite était donc à la fois entouré par une large ceinture d’arbres et par un long marais circulaire, qui de la rue Saint-Antoine allait jusqu’à Chaillot. Un démembrement de la forêt de Sarris, qui n’en était séparé que par la Seine, était la forêt de Rouvray, appelée plus tard bois de Saint-Cloud, et sur l’emplacement de laquelle s’étendent le village de Boulogne-sur-Seine et le bois de Boulogne actuel. La forêt de Saint-Germain était autrefois la forêt de Laye ou Leie, qui comprenait les bois de Marly, couvrait Versailles, Palaiseau et allait jusqu’à Montlhéry. Une bande forestière s’étendait au sud-est. Il en reste trois fragmens, Vincennes, Bondy et Livry. Une autre vaste forêt enfin, celle d’Iveline, se rattachant à celle-ci, couvrait tout le territoire méridional, absorbait celle de Rambouillet, d’Orléans, de Montargis et s’étendait jusqu’à celle de Fontainebleau, tandis que toutes les régions septentrionales étaient couvertes par l’immense forêt des Sylvanectes, comprenant celles de Chantilly, Senlis, Compiègne, Laigue, Coucy et Villers-Cotterets.

Ainsi sont passées en revue toutes les anciennes grandes-forêts, de la Normandie aux Alpes et du Rhin aux Pyrénées. On comprend quelle influence devaient exercer sur l’économie générale de la France d’aussi vastes surfaces boisées. Malgré les défrichemens progressifs, la Gaule demeura pendant bien des siècles une contrée essentiellement forestière dont le climat rude était redouté des Romains. Atrox cœlum, disait Florus en parlant aussi bien de la Gaule que de la Germanie. Il est sans doute inutile d’ajouter que les bêtes fauves abondaient sur une terre de cette nature. L’urus et le bison hantaient encore la forêt Hercynienne au temps de César. Le lynx épouvantait les chasseurs par sa férocité, l’ours de nos montagnes abondait en bien des points d’où il a pour jamais disparu, et des bandes innombrables de loups venaient jusque dans les villes dévorer les cadavres que multipliaient en tous lieux les discordes civiles, la misère, les maladies épidémiques et la barbarie des seigneurs. Bien d’autres proies encore s’offraient aux chasseurs d’autrefois. Des troupes de porcs sauvages et de sangliers erraient dans les forêts de chênes, les renards n’étaient guère moins nombreux que les loups, et les grands cerfs, les rennes, l’élan, continuaient à vivre dans les lieux où avaient vécu du temps des premiers Celtes les ruminans dont les débris abondent