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des états du sud, du parti qui représente leurs passions et leurs intérêts, cette intervention ravive la lutte en la ramenant sur le terrain légal et peut remettre en doute bien des questions délicates qui ne sont qu’à demi résolues. Quel poids le parti démocrate va-t-il jeter dans la balance ? jusqu’à quel point peut-il aujourd’hui disputer l’élection au parti républicain, qui a le haut bout depuis les grandes victoires du nord ? C’est le secret de la campagne poursuivie en ce moment avec ce mélange d’agitation et de régularité méthodique qui caractérise la vie américaine.

La liberté aux États-Unis a ce mérite, qu’elle se discipline elle-même. On sait comment tout cela se passe. Chaque parti a son organisation, son comité central, ses comités d’états. Au moment d’une élection, des délégués se réunissent dans une convention, le programme du parti est débattu ; le candidat est librement choisi, et il faut qu’il obtienne les deux tiers des voix pour être accepté. Cela fait, le parti marche avec toutes ses forces au scrutin. C’est une sorte de suffrage indirect s’établissant de lui-même dans l’intérêt de l’union des partis. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est notre Moniteur nous peignant l’autre jour, pour nous faire envie sans doute, les vigoureuses mœurs de la liberté, nous rappelant comment tout cela est l’œuvre « des électeurs eux-mêmes sans aucune intervention du gouvernement… Ce sont les particuliers, disait-il, qui se sont donné ces règlemens, grâce auxquels tout se passe dans l’ordre le plus parfait et sans qu’aucun droit soit méconnu. » Voilà qui est à merveille — aux États-Unis seulement, à ce qu’il paraît ! Quoi qu’il en soit, c’est de cette façon que la convention républicaine de Chicago choisissait, il y a quelques semaines, pour son candidat le général Grant, et c’est ainsi qu’à son tour une convention démocratique s’est réunie plus récemment à New-York pour savoir qui on porterait à la présidence. L’œuvre n’a pas vraiment été facile. Au premier coup d’œil, les démocrates américains auraient eu un moyen simple, peut-être efficace, pour entrer dans la lutte sans trop de désavantages : c’eût été de se réunir sur un nom qui n’eût point été un signe trop visible de réaction contre tout ce qui s’est accompli. C’était à cela que semblait répondre la candidature du chief-justice, M. Chase, dont le nom aurait pu rallier des voix jusque parmi les républicains. Quand la convention s’est trouvée rassemblée, il est devenu très clair que le parti démocratique compte toujours dans ses rangs des hommes qui n’ont rien appris ni rien oublié, qui au fond espèrent encore ressaisir par d’autres voies ce qu’ils ont perdu par la guerre. Le difficile a été d’abord de rédiger le programme présidentiel ou plat-form, et bien que dans ce programme il y ait la marque d’un certain esprit de transaction, il y a toujours évidemment un sous-entendu à peine déguisé contre tout ce qui s’est fait, contre toutes les atteintes portées à la souveraineté des états, ce grand principe du parti démocrate ; mais c’est surtout quand il a fallu s’entendre sur le candidat à la présidence que la confusion a éclaté.