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ce qu’il y a de curieux, c’est que chaque fois le gouvernement a paru la trancher, théoriquement du moins, dans un sens assez libéral. Lorsqu’il y a quatre mois à peine un député, M. Millon, posait cette question et demandait si le droit de surveillance administrative sur les réunions publiques s’étendait aux réunions privées, M. Rouher répondait avec l’énergie la plus catégorique, et le ministre de l’intérieur, M. Pinard, à son tour, s’indignait presque qu’on mît en doute la sincérité du gouvernement, qu’on pût lui supposer l’arrière-pensée de se servir d’un droit tutélaire de surveillance pour diminuer l’efficacité du droit de réunion. La question était donc au moins incertaine, et dès lors, à un point de vue supérieur de politique, c’était évidemment l’interprétation la plus large qui devait s’imposer d’elle-même, qui devait faire taire des habitudes invétérées d’action discrétionnaire.

Ce qu’il y a de plus étrange, c’est qu’en fin de compte, à consulter le vote, une réunion de plus ou de moins n’eût probablement rien changé, et que l’élu eût été toujours sans doute le candidat officiel, M. Dumas, dont le titre le plus apparent d’ailleurs jusqu’ici est d’être le fils de son père, le savant chimiste ; le scrutin n’eût pas été sensiblement modifié, à ce qu’il semble. L’interdiction violente des réunions d’Alais et de Mîmes n’a pu que donner à l’élection la couleur d’une victoire de vive force. C’est plus qu’un abus d’autorité dans ce cas, c’est une maladresse fondée sur un faux calcul, et qui n’a d’autre résultat que de réveiller tous les doutes sur les intentions du gouvernement dans les élections générales. Les tribunaux prononceront, objectera-t-on encore ; oui, c’est ce que nous disions, les tribunaux prononceront — plus tard, après l’événement et moyennant quelques appels dans ; six mois ou un an peut-être. En attendant, l’effet politique est produit. C’est cela, la porte n’est ni fermée ni ouverte, et en se laissant aller à ce système le gouvernement sait-il ce qu’il fait ? Il justifie ce que M. Émile Ollivier lui disait justement à l’occasion de cette loi : « Procédez donc comme vous voudrez, préférez des réformes partielles aux réformes générales, si vous le voulez ; mais procédez avec précision… Soyez réservés et prudens, mais soyez résolus, et faites sérieusement ce que vous voulez faire. » Voilà toute la question. C’est celle qui s’agite aujourd’hui non-seulement en ce qui touche le droit de réunion, mais encore dans tout ce qui concerne la presse, et, on pourrait le dire d’une manière plus générale, dans tout ce travail où l’instinct libéral ravivé et inquiet s’emporte contre les difficultés et les obstacles qu’on lui suscite. La question est de savoir ce qu’on veut faire, et le danger pour le gouvernement, c’est de paraître hésiter, de se laisser engager dans une voie où il semble toujours retirer d’une main ce qu’il accorde de l’autre, où il se fait peut-être encore l’illusion de pouvoir concilier des prérogatives et des habitudes d’omnipotence avec une extension de liberté qu’il a lui-même reconnue nécessaire. Le danger actuel et pressant, ce serait de croire qu’on va pouvoir