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nous faisons chaque jour un pas de plus dans un ordre nouveau qui a ses conditions, ses invincibles nécessités. Nous sommes à une de ces heures où tout devient un signe, où tout aussi peut devenir décisif, et plus que jamais peut-être ce serait pour chacun le moment de s’interroger, de savoir ce qu’on veut faire, jusqu’où l’on veut aller. Sait-on la cause la plus réelle de cette épidémie d’inquiétude qui règne aujourd’hui ? C’est cette incertitude où l’on vit en face de l’application d’un régime qui commence à peine. Il faudrait cependant être sincère, et nous ne parlons pas, bien entendu, de cette sincérité qui consiste à ne pas ruser vulgairement avec la vérité ; nous parlons de cette virile loyauté d’esprits politiques résolus à accepter une situation donnée. Lorsque le gouvernement a inauguré la politique du 19 janvier 1867 et a demandé au corps législatif les lois qui en sont la suite, il a voulu sans nul doute faire une œuvre sérieuse, réfléchie, et ce n’est pas dans tous les cas le temps de la méditation qui lui a manqué. La question est aujourd’hui de savoir ce que l’exécution fait de cette œuvre législative, dans quelle mesure la réalité répond à la pensée qui a paru inspirer cette politique, et c’est ce qui donne une certaine signification à cette élection du Gard, qui a une double importance parce qu’elle est une sorte de prologue des élections générales, comme une escarmouche avant la bataille, et parce qu’elle a été l’occasion d’une des premières applications de la loi sur les réunions publiques. Si c’est ainsi que tout doit se passer, il est à craindre qu’on ne s’entende guère, et que nous ne soyons qu’au début de cette ère de méfiance agitée où nous semblons entrer.

Qu’est-il arrivé en effet ? Quelques jours avant l’ouverture du scrutin, des électeurs de l’opposition ont voulu se réunir à Nîmes et à Alais dans l’intérêt de deux candidats, M. Cazot et M. de Larcy, l’un représentant l’opinion démocratique, l’autre connu de longue date pour représenter les opinions monarchiques. Ces réunions étaient-elles illégales ? C’est ce qu’il serait au moins difficile d’assurer, puisque les électeurs avaient pris toutes leurs précautions pour se mettre en règle avec la loi. La force armée n’est pas moins intervenue, et M. le préfet du Gard a cru devoir trancher la question d’autorité. Il n’a rien tranché du tout, il n’a fait que créer une difficulté, et donner un aliment nouveau à cette vague inquiétude de l’opinion plus que jamais prompte à s’émouvoir. Qu’il y ait dans cette affaire un côté juridique par où elle relève des tribunaux, nous le voulons bien : ce sera aux tribunaux de décider si les réunions de Nîmes et d’Alais étaient des réunions publiques tombant sous le coup de la loi, ou si elles n’étaient que des réunions privées échappant à toute action administrative ; mais en même temps il y a une question toute politique, une question de conduite, et c’est là qu’a été l’erreur. Ces distinctions entre les réunions publiques et les réunions privées ne sont pas absolument imprévues. La difficulté s’est présentée plus d’une fois au corps législatif, notamment dans la discussion de la dernière loi, et