Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/979

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus intelligens organes ; mais c’est sous la condition que ce spiritualisme restera fidèle à l’expérience, et se tiendra dans la sphère des réalités soumises au temps et à l’espace.

Franchement, si cette théorie de la création est le dernier mot de la sagesse humaine sur de tels problèmes, on comprend que la théologie rationnelle n’ait pas beaucoup plus de prix que la théologie orthodoxe pour les esprits qui aiment à voir clair en toutes choses, que devant de telles explications nombre d’intelligences moins exigeantes s’en tiennent au mystère tout net de la foi, qui suspend l’exercice de la pensée, mais ne la met point à la torture, qui enfin préfère la poétique obscurité du symbole à l’étrange lumière d’une pareille métaphysique. Ne sent-on pas ici l’abus de cette méthode psychologique propre au spiritualisme, qui entend tout expliquer, même l’absolu et l’infini, par l’expérience intime. Tel est le secret de la force et de la faiblesse de cette grande doctrine que nul métaphysicien de notre temps ne possède plus à fond que M. Ravaisson. Admirable et profondément vrai dans l’explication des phénomènes de l’homme et même de la nature, le spiritualisme échoue, à notre sens, devant le problème de l’infini et de l’absolu. Où faut-il alors en chercher la solution ? L’histoire nous apprend que la dialectique n’y réussit guère mieux que la psychologie, puisque, si l’une aboutit à un absolu qui n’est que le type de la nature humaine, l’autre aboutit à un absolu qui n’est qu’une abstraction logique, sans relation possible avec le monde de la réalité. Que doit donc faire la philosophie ? C’est ce que la science, selon nous, est en mesure de lui apprendre. Pendant que la métaphysique disserte toujours un peu stérilement sur le principe abstrait des choses, sur la substance créée ou incréée, sur le fini et l’infini, sur la cause finale et l’ordre possible ou nécessaire du monde, voici que la science positive découvre par l’observation astronomique l’infinité du cosmos, par l’analyse chimique la permanence de la matière, comme substance et comme mouvement, par l’expérience de toutes les propriétés physiques des corps l’essence active de la substance dite matérielle, enfin par l’observation comparée de tous les phénomènes du monde physique et du monde moral la loi du progrès gouvernant le mouvement de la vie universelle.

Qu’est-ce à dire ? Si le néant répugne à la raison, si l’être, en tant qu’être, ne peut être conçu par elle que comme infini dans le temps et dans l’espace, comme nécessaire par conséquent et indestructible à travers ses innombrables transformations, n’est-ce point là l’absolu de la substance, cherché si laborieusement par la métaphysique ? Si d’autre part tout être est force, et si toute force est active, selon le sentiment de Leibniz confirmé par la science, n’est-ce point là l’absolu du mouvement, cherché dans l’abstraction du