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doute un esprit étroit, ombrageux, défiant de la raison et de la science, s’inquiétant à tout propos des théories et des hypothèses nouvelles, craignant pour sa psychologie les expériences et les observations des physiologistes sur les rapports du physique et du moral, redoutant pour sa théologie les théories naissantes sur la génération spontanée, sur l’unité des forces de la nature, sur l’explication des espèces vivantes par la sélection naturelle, sur le dynamisme universel. Là en effet toute idée nouvelle est suspecte, toute expérience fait peur. La nature, avant d’être connue, avait été conçue et arrangée de façon à se prêter à tel ou tel dogme sur la création et la Providence qui fait partie des principes élémentaires du spiritualisme. Voici que la science positive est en train, avec ses observations, ses expériences et ses hypothèses, de substituer à ce vieux cosmos un cosmos nouveau, où il semble que la création lie soit plus nécessaire, et où la Providence se voit menacée de perdre quelques-uns de ses attributs. Tout cet attachement aux vieilles doctrines n’est que trop réel et fait sourire le monde savant, bien convaincu de sa supériorité ; mais d’un autre côté où se trouve le sentiment des réalités invisibles, impalpables et pourtant les plus réelles de toutes, sinon dans ce monde spiritualiste ? où est le dépôt de toutes les vérités de l’ordre moral ? Où est la tradition de la vraie nature et de la haute destinée de l’homme ? où est l’âme de cette civilisation supérieure qui élève le niveau de la moralité et de la dignité humaines en même temps qu’elle répand le bien-être et satisfait de plus en plus les besoins et les convenances de la vie matérielle ? où est, en un mot, le sel conservateur des sociétés qu’enrichit l’industrie, sinon dans le spiritualisme ? Ici le monde de la foi, qui a conscience de toutes ces choses, reprend l’avantage. Il ne sourit ni ne raille, comme fait le monde de la critique et de la science ; mais il ne peut voir sans crainte et sans pitié la sécurité de ceux qui s’imaginent que l’industrie suffit à tout, et que la matière est toute réalité. On comprend alors comment dans cette société spiritualiste les philosophes donnent la main aux croyans. Les uns et les autres oublient ce qui les divise en face du triste avenir que semblent préparer à la civilisation moderne une critique qui détruit toute croyance et une science qui ne voit en tout que matière et force. C’était là ce qui rendait dans ses derniers jours le chef de l’école spiritualiste si impatient des nouveautés scientifiques et philosophiques et en même temps si sympathique aux croyances religieuses. Pour lui comme pour bien d’autres, on pourrait même dire pour toute la grande société spiritualiste dont il a été le plus puissant organe, la question était entre le spiritualisme et le matérialisme, et la philosophie n’avait pas une autre œuvre à faire que la religion elle-même dans cette lutte à mort.