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écrit-il de Bois-le-Duc le 7 mai au général Clarke. Comme mon intention est de supprimer les couvens, d’obliger les prêtres à prêter serment et de finir ces ridicules scènes de Rome, j’ai besoin d’y avoir les forces convenables. » Suivent des indications précises et très détaillées sur la composition de plusieurs brigades qui doivent être mises sur pied et tenues à la disposition du général Miollis, auquel il faudra bien recommander de montrer à l’occasion toute la vigueur désirable[1].


Il semble que de pareilles mesures militaires, prises avec sa connaissance ordinaire et des lieux et des hommes, devaient suffire à rassurer complètement l’empereur sur la stricte exécution de ses desseins ; mais sa passion ici est en jeu, c’est pourquoi il déclare à l’avance ne vouloir reculer devant aucun sacrifice. Napoléon, faisant manœuvrer de nombreuses colonnes mobiles entre Florence et Rome afin d’appuyer la destitution des évêques, des chanoines et des curés de paroisse qui, dans les états romains, n’ont pas voulu lui prêter serment, rappelle involontairement Louis XIV envoyant ses dragons pour aider à la conversion des protestans du midi de la France. A la distance d’un siècle, l’attitude et le langage des deux despotes sont exactement les mêmes. « J’ai déjà envoyé 12,000 hommes en 3 colonnes, écrit Napoléon à son ministre des cultes. J’en enverrai 100,000, si cela est nécessaire. Il faut qu’au 1er juillet tout soit dans les départemens romains sur le même pied qu’à Paris[2]. »

Il est facile d’expédier de pareils ordres. Il n’est pas non plus impossible de les faire exécuter, même quand ils répugnent à la conscience de ceux qui sont tenus d’y prêter leur concours. Ce qui ne dépend d’aucune volonté humaine, si puissante et si obéie qu’elle soit, c’est d’empêcher que tôt ou tard, dans le présent ou dans l’avenir, dans un avenir souvent tardif, toujours inévitable, l’iniquité de l’oppression, soit qu’elle ait été ignorée, soit même qu’elle ait été approuvée par les contemporains, ne retombe un jour comme une charge terrible sur la mémoire de l’oppresseur. Les violences qui furent de l’autre côté des Alpes la conséquence des mesures arbitrairement décrétées par l’empereur contre le clergé italien sont assez peu connues. Le public, quand elles se produisirent, y demeura, il faut en convenir, assez indifférent ; elles n’ont jamais été, que nous sachions, bien vivement reprochées à Napoléon. Peut-être cependant faut-il considérer comme un commencement de châtiment la nécessité où il s’est trouvé de recourir plus tard, pour expliquer sa conduite envers le pape, aux singulières

  1. Lettre de l’empereur au général Clarke, duc de Feltre, Bois-le-Duc, 7 mai 1810. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XX, p. 33.
  2. Lettre de l’empereur à M. le comte Bigot de Préameneu, Middelburg, 11 mai 1810. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XX, p. 342.