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L’opposition surgit d’un autre côté, latente, sourde, à peu près insaisissable, et par cela même destinée à devenir pour l’empereur infiniment plus incommode. Sortie tout entière des rangs du clergé, cette opposition ne fut pas d’ailleurs, ainsi qu’on serait à première vue tenté de le croire, et comme Napoléon ne manqua point sans doute de se le persuader à lui-même, le résultat d’une entente préalablement établie et d’un plan savamment concerté. Rien de semblable n’avait en réalité eu lieu. Il ne s’agissait à aucun degré d’une vaste conspiration dont les membres du sacré-collège auraient été les premiers organisateurs, qui, passant tout ourdie de leurs mains dans celles des évêques, puis des curés de paroisses, aurait, de ramifications en ramifications, enserré dans ses réseaux multiples les plus humbles dignitaires de la hiérarchie sacrée et jusqu’aux plus obscurs adhérens du malheureux pontife prisonnier à Savone. De machinations, de trames, de complots, il n’y en avait pas la moindre trace. Qui donc aurait osé y songer parmi les prêtres de Rome ? Ils avaient infiniment trop peur des autorités françaises, qui étaient là tout près, vigilantes et sévères, et de Napoléon, qu’ils entrevoyaient derrière elles plus terrible encore dans son redoutable éloignement. C’étaient plus que des machinations ordinaires, plus que des trames vaines, plus que des complots misérables, qui se dressaient ainsi dans l’ombre avec une invincible énergie de résistance contre les autorités françaises et contre Napoléon ; c’était la force même des choses et les conséquences inévitables de la situation qu’il s’était faite à lui-même.

Tâchons de bien expliquer cette situation. Lorsqu’un régime politique en remplace un autre, il est rare que cette révolution, si radicale et si soudaine qu’elle ait été, entraîne un renouvellement immédiat et complet de tout le personnel gouvernemental. Le plus souvent l’art du pouvoir nouveau consiste au contraire à conserver presque tous les rouages de l’ancienne administration, même à maintenir autant qu’il le peut à leurs postes, quand ils ne s’y sont pas trop compromis, les fonctionnaires ayant occupé des situations considérables sous l’état de choses antérieur. Rien de semblable n’avait été possible après l’enlèvement du pape. La consulte romaine, quand même elle n’eût pas été composée des adversaires les plus déclarés du clergé, n’était point maîtresse de transiger, si peu que ce fût, avec les cardinaux et les prélats qu’elle était en train de dépouiller de toutes leurs attributions politiques ; ses avances, si elle eût jugé à propos d’en faire, auraient été infailliblement repoussées. Il n’en était pas en effet des dignitaires de l’église romaine ayant pris part aux affaires du saint-siège comme des fonctionnaires de tout autre gouvernement déchu. A leurs yeux, le saint-père, arraché de son palais du Quirinal, n’apparaissait pas