Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/915

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

animaient si bien la rue de la Huchette qu’un ambassadeur turc ne pouvait se lasser d’aller les admirer. La multiplicité des cabarets, des restaurans de bas étage, des crémeries, a rendu inutiles ces cuisiniers fixes ou vagues qui emplissaient la ville de vociférations, de cris et de mauvaises odeurs. Il ne faut pas s’en plaindre : Paris y perd peut-être au point de vue d’un certain pittoresque trop débraillé, mais il y gagne singulièrement sous le double rapport de la salubrité et de l’aspect.

Il y aurait une étude curieuse à faire sur les restaurans de Paris, depuis ceux du Palais-Royal et du boulevard des Italiens, où l’on dîne sobrement à 25 francs par tête, jusqu’à ceux des barrières, où l’on peut trouver à manger pour quelques sous. Il y en a pour toutes les bourses. Pendant que les uns n’emploient que des truffes et des vins de grand cru, les autres sont forcés d’avoir recours au fabricant d’yeux de bouillon pour donner une apparence à peu près acceptable à la soupe qu’ils puisent à la fontaine et colorent avec un peu d’oignon brûlé ; mais il y a là des arcanes culinaires que nous n’osons pénétrer. Plus d’une de ces tables interlopes s’alimente au pavillon n° 12, auprès des marchands de viandes cuites. Du reste, tous ces établissemens, depuis le plus élevé dans la hiérarchie gastronomique jusqu’au plus infime, jusqu’à celui où le repas complet coûte 30 centimes, sont activement surveillés.

J’ai dit en son lieu quelle était la fonction spéciale des inspecteurs de la boucherie, des dégustateurs, des compteurs-mireurs. D’autres employés, désignés sous le nom d’inspecteurs ambulans des comestibles et vulgairement appelés les flaireurs, sont chargés de visiter toute maison, quelle qu’en soit l’enseigne, où l’on vend des denrées alimentaires. Ce service, qui ne chôme pas, on peut le croire, dans une ville aussi vaste que Paris, comprend un personnel de 28 agens dirigés par l’inspecteur-principal et l’inspecteur-principal-adjoint. Toujours marchant, allant par rues, faubourgs, quais, places et boulevards, ils veillent incessamment sur la santé des Parisiens, qui ne s’en doutent guère. Les altérations que les débitans font subir aux objets destinés à la subsistance sont sans nombre. En les réunissant, on pourrait faire un gros livre plein de révélations curieuses qui prouvent de la part des marchands plus d’imagination que de probité. L’amour d’un bénéfice anormal, d’un gain illicite, développe en eux des ressources qu’il est difficile de soupçonner. Les avertissemens, les reproches, les procès-verbaux, les condamnations, les amendes, l’emprisonnement même, sont impuissans à ramener ces incorrigibles fraudeurs à la sincérité. Les inspecteurs ambulans ne s’épargnent pas, et ils visitent en moyenne 8,000 établissemens chaque mois, les