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particulières et à 23,643 établissemens qui vendent la nourriture toute préparée. La préfecture de la Seine ne s’est point contentée de les reconstruire, elle a fait élever ou réédifier presque tous les marchés de Paris, les réduisant autant que possible à un plan uniforme dans lequel on s’est singulièrement préoccupé des conditions de salubrité, d’espace et de bien-être. Au lieu des horribles masures en bois noircies et déchiquetées que nous avons vues, il y a peu d’années encore, sur l’ancien emplacement des Jacobins et ailleurs, on a maintenant de vastes constructions en fer et en verre qui ne ressemblent sous aucun rapport aux cloaques d’autrefois. Chaque jour, des marchés nouveaux s’ouvrent dans l’ancien Paris et dans les communes récemment annexées ; bientôt ils seront assez nombreux, assez convenablement aménagés pour répondre amplement à toutes les exigences de la population. Ces marchés stationnaires ne sont pourtant pas suffisans. Une ville comme Paris renferme une très grande quantité de personnes que leurs occupations retiennent forcément au logis. Pour ces gens-là, qui sont particulièrement intéressans, car ils sont en général très pauvres, tout déplacement est une perte de temps onéreuse. Ils ne peuvent sans préjudice aller aux provisions, ce sont alors les provisions qui doivent venir vers eux, et, pour obtenir ce résultat, on a organisé une sorte de marché ambulant représenté par 6,000 industriels qu’on nomme marchands des quatre saisons, car, selon l’époque de l’année, ils vendent des poissons, des fruits, des légumes, des œufs. Poussant devant eux une petite voiture à bras, ils crient leurs marchandises d’une façon toute particulière. Kastner, recueillant toutes ces intonations différentes, mélopées traînantes ou notes vivement accentuées, a fait une curieuse symphonie sur les cris de. Paris. Il est resté de tradition à l’Opéra que le cri : ma botte d’asperges ! a servi de motif déterminant à la romance de Guido et Ginevra : Quand reviendra la pâle aurore. Chaque cri, chaque air varie selon la denrée. A la barque ! veut dire : voilà des huîtres ; à la coque ! indique des œufs ; la violette ! signifie qu’il y a des éperlans à vendre ; aux gros cayeux ! annonce des moules, et bien des marchandes, ignorant l’origine de ce mot de terroir, crient sans se préoccuper de la science des étymologies : au gros caillou ! au gros caillou !

Ces marchands, qui vaguent ainsi un peu partout, sont soumis à une réglementation sévère ; on a tracé autour de chaque marché une zone de cent mètres dans laquelle il leur est interdit de faire le commerce ; ils ne peuvent stationner dans les rues, et de plus on leur prescrit l’itinéraire qu’ils doivent suivre dans leur tournée journalière. Ceci peut sembler excessif, nulle mesure pourtant n’est plus sage ; le fait qui l’a déterminée en fournira la preuve.