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Elles étaient « fortes en gueule, » comme les servantes de Molière, très fières de certains privilèges qui les autorisaient à aller complimenter le roi en quelques circonstances spéciales, lestes à la riposte et peu embarrassées de faire le coup de poing lorsqu’il le fallait. On prit inutilement bien des mesures pour calmer leur intempérance de langage. Elles tenaient à leur verbe haut, à leurs phrases injurieuses, plaisantes, presque rimées ; cela faisait partie du métier, c’était l’esprit de corps : aussi ne tinrent-elles aucun compte de l’ordonnance de police du 22 août 1738 qui, sous peine de 100 livres d’amende et de la prison, leur défendait d’insulter les passans. Tout cela est bien changé aujourd’hui, et M. de Beaufort, s’il revenait, ne reconnaîtrait plus ce peuple des halles dont il aimait à se dire le roi.

La suppression du charnier des Innocens, qui, comme tout cimetière situé dans l’intérieur d’une ville, était devenu un danger permanent pour la santé publique, donna aux halles une certaine extension. Par arrêt du conseil en date du 9 novembre 1785, Louis XVI avait décidé que le terrain occupé par le charnier servirait à établir un marché aux herbes et légumes. L’année suivante, la place fut nivelée, les ossemens portés aux catacombes, la fontaine construite par Jean Goujon au coin de la rue aux Fers et de la rue Saint-Denis fut démolie avec soin, transportée pièce par pièce et rétablie au centre du nouveau marché, où les vendeuses n’étaient couvertes que par des abris mobiles, sortes d’immenses parapluies qu’on ouvrait le matin et qu’on fermait le soir. En 1813, la condition de ces pauvres femmes parut trop pénible à l’autorité municipale ; elle leur fit construire des galeries en bois qui ont subsisté jusqu’au jour où les halles furent modifiées d’après un plan nouveau. Ce plan ne date pas d’hier, mais il fallut attendre de longs jours avant qu’il ne fût mis à exécution. Napoléon s’était fort préoccupé des halles ; il les avait parcourues souvent et y avait même entendu parfois d’assez vertes vérités. Il savait combien elles répondaient peu aux besoins qu’elles avaient mission de satisfaire. Ne pouvant plus littéralement contenir toutes les denrées que chaque jour on y apportait et que l’amélioration successive de la viabilité française rendait de plus en plus abondantes, elles débordaient dans les rues voisines, dont la chaussée devenait ainsi une succursale du marché, au grand détriment de la circulation, du bon état des denrées et de la surveillance qu’on doit exercer sur des transactions de cette espèce. Par deux décrets du 2â février et du 11 mai 1811, il prescrivit la reconstruction complète des halles, et l’on put croire que Paris allait enfin posséder un marché digne de la capitale d’un grand empire. Il n’en fut rien cependant ; 1812 arrivait, apportant la guerre