Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/883

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Il ne peut être question d’une liberté illimitée, dont nous ne voudrions à aucun prix. » Il a paru plus net la seconde fois ; mais il ne l’a pas encore été assez pour ne laisser aucune incertitude sur ses intentions véritables. Ce qui augmente nos doutes, c’est que nous savons bien que le clergé catholique n’a pas l’habitude d’accorder la liberté de l’enseignement dans les pays où il est le maître, et qu’on serait très malavisé de pétitionner auprès de la reine d’Espagne ou du pape pour essayer de l’obtenir. N’est-ce pas la preuve évidente qu’il la croit dangereuse ? On se souvient aussi de quelques occasions où nos évêques n’ont pas semblé supporter volontiers la contradiction, et où ils ont paru plus empressés de fermer la bouche à leurs adversaires que de leur répondre ; est-il vraisemblable d’admettre qu’ils prennent tant de peine en ce moment pour leur conquérir le droit de parler ? De ces dispositions si peu libérales on a cru pouvoir conclure que tout ce bruit qu’on vient de faire n’était qu’une manœuvre de parti entreprise sans espoir et sans désir du succès. Je ne crois pas que cette supposition soit juste. L’église s’est bien trouvée de la liberté de l’enseignement secondaire ; il est naturel qu’elle désire la compléter. Elle a confiance en son pouvoir, et elle a raison. Elle sait qu’en présence des partis qui lui sont contraires, et que la liberté des opinions divise à l’infini, elle est réunie par l’autorité, et qu’elle forme la seule force compacte dans cette société en poussière. Elle sait que dans la lutte qu’elle entreprend, outre le dévouement de ses fidèles, elle peut compter sur tous ces alliés que lui fait la peur des révolutions politiques. On comprend que cette assurance que lui donnent le nombre et la discipline de ses partisans l’engage à tenter un combat où elle semble avoir tant de chances pour elle. N’oublions pas d’ailleurs que, si elle ne cache pas ses préférences pour les constitutions politiques qui lui accordent un privilège, ou même qui font le vide autour d’elle, elle se résigne pourtant à l’égalité quand elle ne peut pas faire autrement. Même cette liberté illimitée dont M. de Bonnechose ne voudrait à aucun prix, elle l’accepte quand il le faut, et cherche à en tirer le meilleur parti possible. En Angleterre, en Amérique, elle s’est accoutumée à entendre prêcher autour d’elle les doctrines qui lui sont le plus désagréables et à n’y répondre qu’avec les armes qui conviennent à ces luttes. Dans les universités allemandes, le théologien catholique enseigne à côté du théologien protestant qui nie la divinité de Jésus-Christ ; il se garde bien de s’en indigner et de recommander son collègue aux sévérités du prince ; il se contente de le réfuter. Il ne me semble donc pas impossible que l’enseignement catholique consente aussi chez nous à s’accommoder d’un régime de droit commun et à vivre au grand air de la liberté.