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parfois tentés de sourire et que les autorités universitaires n’encouragent pas, ont pourtant un grand avantage : ils entretiennent chez les professeurs une qualité rare qui leur est utile pour leur tenir lieu de ce qui leur manque, l’amour de leur état.

Les élèves une fois trouvés, les professeurs ne manqueront pas. Je ne doute pas que tous ceux de nos facultés des lettres ne soient très heureux de transformer leur enseignement. Ils étaient bien forcés, sous peine de parler aux murailles, de céder à toutes les exigences de ce public léger qu’il fallait amuser pour le retenir. Nous les avons entendus plus d’une fois se plaindre avec amertume de l’impossibilité où ils se trouvaient d’être impunément sérieux et utiles. De là vient le désir qu’ils témoignent de quitter les chaires de l’enseignement supérieur pour venir dans un lycée de Paris, où ils sont sûrs de trouver des auditeurs moins fugitifs. On peut donc être assuré qu’ils feront avec plaisir comme avec succès ces cours à la fois plus solides et plus familiers quand ils seront certains d’avoir quelqu’un pour les écouter. Néanmoins, pour que la réforme qu’on réclame s’insinue plus profondément dans l’Université, pour qu’elle entre tout à fait dans notre esprit, dans nos habitudes, et qu’ainsi nous soyons plus assurés qu’elle durera, il faut qu’elle pénètre d’abord dans l’école même qui forme les professeurs, et où ils prennent les goûts et les connaissances qu’ils portent avec eux pendant toute leur carrière.

Il ne viendra sans doute à la pensée de personne de nier ou d’amoindrir les services que l’École normale a rendus aux lettres françaises depuis cinquante ans. Plusieurs des écrivains qui les ont le plus honorées en sont sortis. Encore aujourd’hui beaucoup d’anciens élèves de cette école publient des livres remarqués, remportent les prix de nos académies, maintiennent dans notre littérature cette façon d’écrire saine et naturelle qui est dans les traditions de la France. On remarque chez eux les aptitudes les plus diverses ; ils sont philosophes, politiques, économistes, critiques, romanciers, quelques-uns même ont fait jouer des vaudevilles applaudis, et parmi cette diversité de vocations la moins commune est précisément celle qui devrait être la plus ordinaire : ils sont rarement des savans[1]. Les étrangers s’en étonnent beaucoup ; ils se demandent comment il peut se faire que d’une école instituée pour former des professeurs il soit sorti tant de journalistes et si peu d’érudits. On lit beaucoup en Allemagne les Mariages de Paris et le Journal de

  1. Il faut faire une exception pour l’École d’Athènes ; mais les érudits, les critiques, les épigraphistes, les savans de toute sorte que cette école a produits prouvent précisément combien il serait facile de tourner l’École normale vers la science en donnant aux études une autre direction.