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exigences de leurs proviseurs, qui seront toujours tentés d’abuser d’eux, et leur assurer quelques loisirs pour leurs travaux. La situation étant devenue meilleure, il est certain qu’elle sera disputée. Pourquoi ne la mettrait-on pas au concours entre les maîtres répétiteurs d’une même académie ? Ce serait un moyen d’entretenir chez eux quelque émulation, de leur donner du cœur à travailler en leur laissant entrevoir l’espérance de sortir de leurs ingrates fonctions.

Voilà donc quatre ou cinq élèves certains, décidés à suivre le professeur de latin et de grec dans ses explications les plus ardues. D’autres viendront, je n’en doute pas : je crois à l’attrait de la science solide et sérieuse sur les esprits distingués ; mais quand même ils devraient être seuls, je m’en consolerais sans peine. Le cours fait pour eux changera d’aspect. Il faudra bien que le professeur s’occupe de les instruire plus que de les amuser. Dans les textes qu’il expliquera devant eux, il sera forcé de chercher à ne rien laisser d’obscur. L’à peu près suffisait aux gens du monde. Comme on leur parlait moins de l’auteur lui-même qu’à propos de l’auteur, ils se contentaient de quelque traduction lointaine, qui leur faisait entrevoir le sens et qu’on s’empressait de noyer dans un flot d’observations littéraires et morales. Tout sera changé. Il faudra aborder de front les difficultés du texte et les résoudre. Le professeur lui-même prendra goût à ces études nouvelles pour lui. Quand il se contentait d’exprimer des généralités morales ou littéraires, il sentait bien qu’il n’était qu’un homme ordinaire qui répétait ce qu’on trouve partout, car un écrivain de génie est seul capable d’inventer des aperçus nouveaux sur la littérature et l’histoire. En regardant les auteurs de près, il trouvera des questions à sa taille. Il les étudiera par son travail personnel ; les solutions qu’il en donnera seront à lui. Il aura le sentiment qu’il est lui-même et non pas le reflet d’un autre, que dans un domaine restreint il sert la science, qu’il fait une œuvre utile et sérieuse. Il jouira de ce contentement de soi qui est la plus sûre récompense du travail dans une profession qui ne peut pas compter sur la fortune et qui arrive rarement à la renommée. Ses élèves aussi partageront ses goûts ; ils comprendront, en écoutant leur professeur, l’intérêt qu’on peut attacher à l’établissement d’un texte ou à l’étude d’une difficulté grammaticale. Plus tard, quand ils seront dans leurs petits collèges, ils continueront à travailler tout seuls et pour eux. Dans quelque pays perdu qu’on se trouve, on a toujours un Virgile et un Homère, et c’est le privilège de ces admirables écrivains que dans les détails de leurs chefs-d’œuvre, tant de fois, fouillés par la critique, il y a toujours quelque découverte à faire. Ces travaux modestes, dont les dédaigneux sont