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par ce pays d’activité féconde et de libres études. C’est une situation très fâcheuse et bien faite pour alarmer les esprits sérieux. Ceux qui se consolent en songeant que nos faiseuses de modes continuent à fournir Londres et Pétersbourg et qu’où joue partout la Belle Hélène ne sont vraiment pas difficiles.

D’où vient donc le mal ? M. Renan n’hésite pas à répondre que c’est de la manière dont les cours sont faits dans nos facultés. Il montre que les brillans succès obtenus par MM. Guizot, Cousin et Villemain ont égaré leurs successeurs. Cet exemple séduisant et dangereux a jeté l’enseignement dans une mauvaise voie. Quand on vit l’éclat que ces éminens esprits avaient jeté, tout le monde voulut faire comme eux. « L’état, à certains jours, tint salle ouverte pour des discours de science et de littérature. Deux fois par semaine, durant une heure, un professeur dut comparaître devant un auditoire formé par le hasard, composé souvent à deux leçons consécutives de personnes toutes différentes. Il dut parler sans s’inquiéter des besoins spéciaux de ses élèves, sans s’être enquis de ce qu’ils savent, de ce qu’ils ne savent pas. Quel enseignement devait résulter de telles conditions ?… Ouverts à tous, devenus le théâtre d’une sorte de concurrence dont le but est d’attirer et de retenir le public, que seront les cours supérieurs ainsi entendus ? De brillantes expositions, des « récitations » à la manière des déclamateurs de la décadence romaine. Qu’en sortira-t-il ? des hommes véritablement instruits, des savans capables de faire avancer la science à leur tour ? Il en sort des gens amusés… Quoi de plus humiliant pour le professeur, abaissé ainsi au rang d’un amuseur public, constitué par cela seul l’inférieur de son auditoire, assimilé à l’acteur antique dont le but était atteint quand on avait dit de lui : Saltavit et placuit ? »

Voilà le mal parfaitement décrit ; mais sur qui faut-il. en faire tomber la faute ? Est-ce sur la vanité du professeur, comme on serait tenté de le croire ? Non, c’est sur l’imprévoyance de l’état. On ne saurait croire que de légèretés on peut commettre dans un pays où tout se fait avec un si grand luxe de précautions administratives. Plusieurs ministres se sont aperçus avec tristesse de cette décadence de l’enseignement supérieur, et ils ont voulu l’arrêter. Quel remède ont-ils employé pour y réussir ? Toujours le même : ils ont fondé des facultés nouvelles. C’était multiplier le mal au lieu de le détruire. La raison disait qu’avant de créer des chaires il fallait leur assurer des auditeurs. Or il est facile de comprendre qu’elles n’en peuvent pas avoir. Organisées comme elles le sont, nos facultés des lettres ne répondent à rien et ne s’adressent à personne. Il faut s’expliquer. — A-t-on voulu seulement donner un