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qui protège cet amour de l’immobilité, c’est que d’ordinaire il prend sa source dans les sentimens les plus respectables. Le lointain et le regret donnent toujours un certain charme aux souvenirs de la jeunesse. A mesure que nous vieillissons, nous nous attachons davantage à nos premières années ; le respect que nous éprouvons pour ces maîtres qui nous ont formés sert de défense à leurs méthodes. Ajoutons qu’un certain contentement de soi auquel personne n’échappe nous amène à penser que le système d’éducation qui nous a faits ce que nous sommes produisait souvent de bons résultats. Nous ne sommes pas insensibles non plus à ce renom d’homme sage qu’on obtient facilement chez nous en défendant les anciennes traditions, même quand ces traditions ne sont que des routines. Enfin nous cédons à ce préjugé national qui nous porte à croire que nous devons être fiers de toutes nos institutions, que c’est être un mauvais citoyen que de les attaquer, et que l’Europe nous les envie. Les vingt-quatre violons qui jouissaient du privilège d’écorcher les oreilles de nos rois se vengeaient des railleries des musiciens véritables en affirmant qu’ils étaient le premier orchestre du monde, et, si l’on avait l’audace de trouver qu’ils jouaient faux ou qu’ils n’allaient pas en mesure, ils vous accusaient aussitôt d’être des ennemis de la France.

Il est donc utile qu’on vienne de temps en temps troubler notre quiétude, et qu’on essaie de nous arracher à cette satisfaction naïve que nous sommes toujours tentés d’éprouver pour nous-mêmes. Nous n’écoutons pas d’abord très volontiers ceux qui essaient de nous montrer les vices d’une institution que nous voudrions bien croire parfaite pour n’avoir pas la peine de la changer ; cependant il y a des gens dont la parole fait tant de bruit qu’il est bien difficile de ne pas l’entendre, même quand on s’obstine à né pas l’écouter. Il en arrive toujours quelque chose aux oreilles les moins ouvertes, et les optimistes les plus résolus sont bien contraints de faire de ces examens de conscience dont on sort toujours l’âme un peu troublée. C’est le service que vient de nous rendre M. Renan dans son dernier livre. Parmi les questions contemporaines qu’il étudie, celles qui concernent l’enseignement tiennent la première place. « De tous les problèmes de notre temps, dit-il avec raison, c’est le plus important. » M. Renan a ce mérite rare dans tout ce qu’il écrit d’être aussi utile à ceux qui ne pensent pas comme lui qu’à ceux qui partagent ses sentimens. Son esprit est si vif, il a une telle variété d’idées et d’aperçus, qu’il anime même ses adversaires, qu’il les force de se pourvoir d’argumens nouveaux, et les rend capables de les trouver. On est sûr qu’avec lui les discussions ne resteront pas sur ces terrains battus où elles se traînent depuis des siècles ; il