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longtemps aux atteintes du mal : ils s’attristent, ils s’affaissent chaque jour davantage. Comme on croit avoir trop de bonnes raisons pour mépriser les autres, on se fait solitaire et l’on s’abstient, d’abord par dépit, ensuite par système. Retiré dans quelque couvent de son ordre, Bernard s’abstenait. De l’année 1310 à l’année 1315, quelle a été sa résidence ordinaire ? On ne le dit pas ; nous n’apprenons rien à cet égard ni de lui-même ni des témoins qui ont raconté le reste de sa vie. Enfin on retrouve en 1315 la trace de cet exilé morose. Alors, après la mort de Clément V et de Philippe le Bel, il quitte l’Albigeois pour aller se confiner dans la maison de son ordre que possède la ville de Béziers. Il n’a plus d’emploi, plus de dignité ; il est redevenu simple frère : le repos convient à son âge, comme à l’état de son âme conviennent le silence et l’obscurité.

V.

Jean XXII avait remplacé Clément V sur le siége d’Avignon, et Louis le Hutin avait succédé à son père Philippe le Bel sur le trône de France ; mais le règne de Louis le Hutin dura peu, Philippe le Long lui succédait en janvier 1317. Avec un nouveau pape, avec de nouveaux rois vont se faire bien des changemens dans l’église et dans l’état. Jean XXII n’a pas l’humeur facile, c’est-à-dire l’indifférence tolérante de Clément V : c’est un vrai pape, qui fait tout passer après le respect de l’autorité, que touchent peu les plaintes portées contre l’inquisition, que touchent beaucoup les griefs anciens ou récens des inquisiteurs contre les hérétiques ou les fauteurs d’hérétiques. Il a surtout les plus fâcheuses dispositions à l’égard des franciscains, des exaltés qui se mêlent de tout réformer, et qui de plus, divisés entre eux, troublent toute l’église par la violence de leurs luttes privées. Quant au roi Philippe le Long, il est très désintéressé dans toutes les affaires de l’église, mais il trouve à l’inquisition, que d’ailleurs il n’aime guère, un mérite : elle doit lui procurer de l’argent. Les circonstances sont donc très favorables aux anciens ennemis de Bernard. Trouvant enfin un pape enclin à les servir et nullement empêché de le faire, ils lui persuadent que la longue impunité de ce grand coupable afflige tous les vrais fidèles du Languedoc. Dans les premiers mois de l’année 1318, Jean XXII appelle Bernard à la cour d’Avignon. Après avoir tristement déposé tout ce qu’il possédait en propre, plusieurs caisses de livres, entre les mains de Jean de La Couture, notaire de Béziers, Bernard partit de cette ville le 16 mai 1317. Le 22, il était à l’audience du