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pour cela qu’il a cru devoir observer devant le prince la même réserve que devant les consuls. Il ne refuse pas toutefois de les rapprocher. Puisqu’ils ont pour commune intention d’affranchir le Languedoc de la tyrannie dominicaine, qu’ils se voient et se concertent, il sera leur témoin. Nous n’avons pas le procès-verbal de cette conférence de Nîmes ; nous savons du moins que les interlocuteurs ne se séparèrent pas sans avoir pris l’engagement de se revoir. Ne pouvant disposer seuls de la ville de Carcassonne, les deux consuls veulent aller trouver leurs collègues et s’entendre avec eux. Bernard ira plus tard visiter le prince à Perpignan et lui dire ce qui aura été résolu. Tel sera pour quelque temps le rôle de Bernard. Toutes les délibérations seront faites en sa présence ou lui seront communiquées, et, si les conjurés le chargent de quelque mission, il la remplira. Sans offrir son concours, il ne le refusera point. Le chef de la nouvelle entreprise sera Élie Patrice. Bernard laissera passer devant lui cet homme d’action, qui, plaçant une égale confiance dans son crédit et dans son courage, osera tout, et, par défaut de prudence, perdra tout.

IV.

Philippe le Bel, quittant avec sa cour la ville de Nîmes, va traverser l’Auvergne ; les députés de Carcassonne et les deux syndics albigeois, Arnauld Garcia et Pierre Probi, retournent à Carcassonne par Montpellier ; Bernard se dirige sur Albi. Il est informé que le vidame doit bientôt plaider en cour de Rome. Si donc le roi tarde trop à porter l’affaire de l’inquisition devant le pape, elle peut être prochainement résolue sans le concours du roi, et, le vidame absous, l’inquisition est condamnée. Bernard espère-t-il encore cette solution invraisemblable ? Il veut être, dit-il, dans les murs d’Albi quand partira la députation chargée d’accompagner le vidame, et, donnant cette raison ou ce prétexte, il se montre pressé de sortir de Nîmes par une autre porte que ses compagnons. Tandis que ceux-ci s’acheminent vers Montpellier, Élie Patrice et Guillaume de Saint-Martin, se rapprochant d’Arnauld Garcia et de Pierre Probi, leur disent : « Le roi de France nous a mal reçus ; mais, étant à Nîmes, nous nous sommes entretenus, ainsi que frère Bernard, notre grand ami, avec le jeune Fernand, fils du roi de Mayorque, qui nous a promis d’en finir avec les inquisiteurs, si nous voulons le choisir pour maître. Que vous en semble ? » Cette confidence, faite de sang-froid, est accueillie sans surprise. Cependant, bien qu’une telle proposition ne résonne pas mal aux oreilles des syndics albigeois, ils hésitent et répondent qu’avant de s’engager ils veulent consulter Bernard.