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reste. On dit de lui, par exemple, qu’il est l’antechrist. Qu’on le dise et qu’on le répète ; il rit de cette vaine injure. Pour le vidame, pense-t-on, c’est plus grave, puisqu’il est excommunié ; mais la sentence sera déclarée nulle. Toute sentence prononcée par l’inquisition depuis vingt ans a le même vice de nullité. Singulier tribunal qui rend des arrêts sur des crimes qu’il invente ! Le roi soupçonne déjà qu’il en est ainsi, il faut le convaincre. Puisqu’il vient aujourd’hui rendre une solennelle visite à son peuple calomnié, qu’il soit entouré, pressé, supplié, qu’à l’éclairer tout le monde conspire, et le dernier jour de l’inquisition sera venu.

Philippe le Bel arrivait en effet le jour de Noël dans la ville de Toulouse, accompagné de la reine, Jeanne de Navarre, et de ses trois fils, Louis, Philippe et Charles. Un grand nombre de seigneurs et de prélats, parmi lesquels on distingue Guillaume de Nogaret et Guillaume de Plasian, l’archevêque de Narbonne et le docte évêque de Béziers, Bérenger de Frédol, forment son cortége royal. Lorsqu’à la tête de ce cortége le roi traverse les rues de la ville, une immense foule se précipite sur son passage, et crie : « Justice ! justice ! » C’est la manifestation que Bernard a demandée.

Philippe ne tarda pas trop à donner audience aux envoyés de Carcassonne et d’Albi. Ils vinrent en grand nombre. Nous revoyons à leur tête maître Arnauld Garcia, alors syndic des consuls et des habitans d’Albi, maître Pierre Probi, avocat spécial de Carcassonne, de Cordes et d’Albi, le juge royal Gahlard Étienne et frère Bernard. Avant qu’ils soient séparément entendus, le vidame prend la parole au nom de tous les plaignans et va résumer leurs griefs communs ; mais il est interrompu par Guillaume Peire de Godin, ancien chapelain du roi, futur cardinal évêque de Sabine, alors ministre provincial des prêcheurs, qui récuse son témoignage comme étant celui d’un excommunié. Pierre Probi parle ensuite. Entre autres faits à la charge de l’évêque Bernard de Castanet, il rapporte qu’ayant procès sur des droits fiscaux avec les consuls et les habitans d’Albi, cet homme de la plus tyrannique arrogance fit arrêter dans l’espace de trois mois trente des plus honnêtes et des plus riches citadins, les accusant faussement d’hérésie, quand ils étaient notoirement de vrais catholiques, assidus à tous les offices, dociles observateurs de tous les commandemens de l’église.

Quand Arnauld Garcia obtient à son tour la parole, il décrit les tortures infligées par les inquisiteurs à leurs prisonniers, et supplie le roi de se laisser persuader qu’il raconte la simple vérité. Ceux qui le trompent, ce sont ceux qui, pour justifier les bourreaux, calomnient les victimes. Le syndic en était à ce point de son discours, quand Bernard, qui se tenait derrière lui, l’interrompit et lui dit avec force : — « Maître Arnauld, nommez le calomniateur,