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ministres, et détruisirent plusieurs de ces maisons. Entretenu par le spectacle des ruines, le souvenir de cette émeute dura longtemps.

Il est assurément permis de croire que ni Geoffroy d’Aubusson, ni Bernard, n’appellent de leurs vœux un engagement décisif ; à l’un et à l’autre parti, les éventualités d’une telle collision doivent être en effet également redoutables. Cependant ils la provoquent par leurs discours, c’est-à-dire par leurs invectives réciproques, Bernard surtout, qui, seul orateur de sa cause, parle plus souvent et plus vivement. L’évêque et Geoffroy s’étant efforcés de soulever contre lui dans la ville de Carcassonne les gens, toujours nombreux, qui n’ont d’autre règle de conduite que le respect de toutes les autorités établies, Bernard va chercher du renfort au quartier-général des mécontens, à Albi. Nous l’y trouvons le 15 août prêchant au couvent de son ordre ; puis il revient à Carcassonne, entraînant à sa suite une foule prête à tout oser ; D’autres lieux viennent en même temps à Carcassonne des syndics députés par les consuls des avocats chargés d’exposer les griefs des communes et des parens de suspects ou de condamnés. Toutes les protestations, toutes les inquiétudes et toutes les douleurs s’associent et s’aiguillonnent.

Si le vidame, qui est encore absent, n’arrive pas bientôt, une nouvelle sédition éclatera. Pressés par Bernard de hâter leur venue, le vidame et son collègue l’archidiacre se rendent enfin à Carcassonne. Ils n’étaient pas entrés dans cette ville qu’ils apprenaient en quel état ils l’allaient trouver. En effet, une grande foule, s’étant portée à leur rencontre, les arrête et leur crie : « Messires, messires, par la miséricorde de Dieu, faites-nous justice des traîtres ! » Au moment où ils pénètrent dans les murs, nouveau tumulte et plus grave. En la compagnie du vidame était maître Guirauld Gahlard, avocat et juge, ami des prêcheurs. On se précipite sur son cheval, et l’agression est si furieuse que, sans la présence du vidame, il était peut-être massacré. Quand enfin les réformateurs du Languedoc ont franchi les portes de la ville, on les entraîne aussitôt au couvent des mineurs, où sont réunis aux principaux citoyens de Carcassonne les députés d’Albi, de Cordes et d’autres villes. Ce n’est plus la foule ameutée ; cependant, quelle que soit la condition des personnes, la réunion est tumultueuse. L’avis commun, que chacun exprime avec véhémence, est qu’il faut agir, et sans délai, qu’il faut se porter aux cavernes de l’inquisition, en tirer les prisonniers et les transférer dans la citadelle. Puisqu’ils ont été condamnés, on ne peut les rendre libres ; mais on peut leur épargner le mortel supplice de l’emmurement. Des arrêts de l’inquisition, il n’y a pas d’appel devant les commissaires du roi ; mais que du moins il soit permis de revoir ces malheureux à la lumière du jour, de leur parler, de les entendre, et de savoir d’eux par quelle