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alors d’être exécutés d’autres enlèvemens de suspects. De Cordes, le vidame, pressé d’avertir le roi, se rend à Paris. L’événement que Bernard espérait n’a pas eu lieu ; mais l’ensemble des faits doit suffire, à leur avis, pour éclairer Philippe. Le vidame parti. Bernard harangue la foule dans la maison commune de Cordes. Il parle du roi, il parle surtout du vidame, disant qu’une cause plaidée par un tel avocat doit être gagnée. Au mois de juillet, l’avocat est de retour. A-t-il plaidé ? Personne n’en doute ; mais a-t-il gagné sa cause ? Il ne s’en vante pas. Cependant Bernard a promis et promet encore. N’étant plus tout à fait le maître du peuple d’Albi, qui craint d’avoir été déçu par de chimériques espérances, Bernard vient trouver le vidame à Carcassonne. Il n’arrive pas seul : un grand nombre d’Albigeois, impatiens de connaître la sentence du roi, se sont précipités sur ses pas, et il ne peut se défendre de les conduire lui-même devant le vidame. Le roi, comme le prouvent trop clairement les réponses embarrassées de son commissaire, n’a rien décidé ; cependant ce même commissaire, qui a vu le roi, qui parle en son nom, dont la sincérité ne peut être soupçonnée, recommande si vivement de toujours espérer qu’il parvient encore une fois à calmer la foule. Jean de Picquigny se hâte alors de quitter Carcassonne ; mais Bernard demeure dans cette ville, entouré des mécontens. Les circonstances ne lui commandent-elles pas beaucoup de réserve ? Si pourtant il modère le ton de ses paroles, l’inquisition, qui est aux écoutes, va se glorifier d’un succès et se croire tout permis. Il n’est pas d’ailleurs commissaire du roi, il n’a pas la responsabilité du vidame. Quelles que soient donc les circonstances, il parlera comme il a toujours parlé. S’il peut être dangereux d’exciter encore les esprits, il peut être malhabile de les apaiser trop. Le 3 août, Bernard fait annoncer par le crieur public dans toute la ville de Carcassonne qu’il prêchera le jour suivant. Voici le texte de cette proclamation ; « Au nom de Dieu et notre Seigneur Jésus-Christ, frère Bernard Délicieux à tous les habitans de Carcassonne ! Que demain, jour de dimanche, une ou deux personnes de chaque maison se rendent au cloître des frères mineurs, pour l’honneur de Dieu, l’utilité de la ville de Carcassonne et de tout le pays de la langue d’oc, l’exaltation de la foi et de la sainte église de Dieu ! » Ainsi Bernard annonce qu’il traitera dans son sermon des choses humaines comme des choses divines, et il convie la multitude à venir recevoir au couvent des mineurs les instructions diverses qui lui seront données, dans l’état présent des affaires, par le religieux patriote, son orateur favori.

Les ennemis de Bernard nous ont aussi conservé quelques passages du sermon. De ces passages, quelques-uns sont d’une grande violence. Cependant ils nous paraissent dans le goût du temps. À