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en d’effroyables registres[1]. En effet, ces hérétiques sont nombreux, et leurs crimes les voici. Quelques-uns, recherchant le mérite d’une pureté surhumaine, ne s’abstenaient pas seulement de manger de la chair, ils répudiaient encore tout ce qui vient de la chair, comme les œufs, le beurre, le fromage. D’autres, pour imiter la pauvreté du Christ, distribuaient leurs biens et vivaient d’aumônes. De plus subtils, dissertant sur le mystère de la consécration, avaient exprimé des doutes au sujet de la présence réelle. Les plus coupables avaient été entendus disant que les inquisiteurs appartenaient à la synagogue de Satan. Un de ces crimes ayant été dénoncé, même par un seul témoin, l’accusé était pris, incarcéré, soumis à la torture. La condamnation prononcée, le coupable, s’il n’était renvoyé devant le juge séculier, qui devait le brûler ou le pendre, était jeté pour un temps ou pour le reste de sa vie dans une prison appelée mur, que nous a décrite l’historien le plus fidèle de l’inquisition, Philippe de Limborch. Cette prison se composait de deux cachots superposés dont les murs avaient cinq pieds d’épaisseur. Dans le cachot supérieur, le jour pénétrait par une étroite baie grillée ; mais le cachot inférieur était souterrain, sans lumière. Deux portes, séparées l’une de l’autre par l’épaisseur du mur, fermaient les deux cachots. On communiquait avec le prisonnier par un guichet pratiqué dans la porte intérieure. Par ce guichet, on lui donnait du linge et des vivres. Tels étaient les délits et telles étaient les peines. N’omettons pas de dire que les biens des condamnés étaient confisqués au profit commun de l’église et de l’état. Cela explique pourquoi la longue liste de ces condamnés nous offre les noms des plus riches citoyens d’Albi.

L’évêque d’Albi, qui aurait pu contenir le zèle farouche de Foulques de Saint-George, ne s’employait qu’à le seconder. Cet évêque, Bernard de Castanet, issu d’une famille considérable de la province, détestait les bourgeois d’Albi, qu’il avait dès l’abord soulevés contre lui par ses exactions. Élevé sur le siége épiscopal en mars 1276, il voyait dès l’année 1277 son palais envahi, sa vie menacée. Les choses depuis ce temps n’avaient pas mieux été. Après avoir fait connaître en lui l’avide convoitise du chef temporel, Bernard de Castanet ne dissimula pas longtemps l’implacable âpreté du chef spirituel. Ayant toujours en sa compagnie le prieur et le lecteur des dominicains d’Albi, il se faisait appeler « lieutenant de l’inquisiteur » dans son diocèse, et saisissait lui-même en cette qualité,

  1. Les registres originaux ont été perdus ou dispersés. On en trouve la copie, dans plusieurs volumes du fonds de Doat, à la Bibliothèque impériale. Voyez aussi Limborch, Hist. Inquis., seconde partie, et Inventaire inédit des archives de l’inquis. de Carcass., dans le tome IV des Mémoires de la Société archéol. de Montpellier.