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une inévitable scission, puis on vote à l’unanimité, ou peu s’en faut. Une minorité persistante est presque considérée comme une sédition. Nos sénateurs et nos députés bien pensans à travers tout aiment à se reposer sur ce doux oreiller des votes unanimes et de l’accord des grands pouvoirs. On dirait que, dans cette chambre de malade où on a recommencé à parler depuis quelques années, les médecins appelés en consultation n’ont une opinion que jusqu’au dernier moment, où ils finissent invariablement par s’en remettre au médecin en chef du soin de guérir le malade à sa manière. Ainsi en a-t-il été encore une fois au sénat et au corps législatif, où le scrutin n’a rien changé. N’importe, on s’est donné l’émotion de la dissidence et de la bataille, on a fait acte d’indépendance, ne fût-ce qu’en parole ; on a discuté avec feu, et à défaut d’un vote décisif il se dégage du moins de ces discussions, toujours un peu académiques, une lumière très vive qui aide le pays à voir plus clair dans ses affaires, qui laisse entrevoir le mouvement des idées et des intérêts, la force relative des opinions et le progrès des choses. Or l’impression qui survit à ces derniers débats du corps législatif et du sénat, c’est que la victoire est restée à travers tout aux idées et aux intérêts libéraux dans le domaine économique comme dans le domaine philosophique et moral.

Certes rien en apparence ne semble lier ces deux grandes discussions qui viennent de marcher de front pendant quelques jours en se déroulant avec une ampleur inaccoutumée, et cependant elles se tiennent plus étroitement qu’on ne le croirait. Elles procèdent de la même pensée : c’est le régime prohibitif ou protectioniste, en matière d’enseignement comme en matière de commerce, qui vient de livrer sa plus sérieuse bataille ; seulement la bataille n’a pas tourné tout à fait à l’avantage de ceux qui l’ont engagée. La liberté commerciale, pour commencer par elle, est sortie évidemment victorieuse de la lutte qu’elle vient d’avoir à soutenir au sein du corps législatif. Cette lutte, elle était attendue, elle était annoncée depuis longtemps. Le moment d’ailleurs ne pouvait être mieux choisi. C’est il y a huit ans, on s’en souvient, que le nouveau régime était inauguré en France, d’abord par une lettre que l’empereur adressait le 5 janvier 1860 au ministre d’état, et qui était tout un programme économique, puis par le traité de commerce qu’on signait avec l’Angleterre, et qui n’était qu’une partie de ce programme. Or d’ici à un an le traité avec l’Angleterre expire, et dès lors s’élève naturellement la question de l’abrogation ou du maintien de ces conventions commerciales. Il s’agit donc de savoir aujourd’hui, avant de toucher à ce terme extrême, ce qu’il faut penser de cette grande expérience de huit années, quelle influence elle a exercée sur la richesse publique, sur le mouvement des forces productives du pays, sur tous les intérêts de l’industrie, du commerce et de la marine ; il s’agit notamment de savoir quelle part