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d’une couleur délicieuse et l’art incomparable de la narration. Quant à l’autorité de Diodore de Sicile, elle est certainement encore plus contestable, car il n’a pas de sa personne visité les pays dont il parle. C’est un compilateur plus ou moins érudit, et les données qu’il nous transmet, il les a prises de toutes mains. Le seul écrivain grec qui ait parlé, non pas de l’Orient en général, mais de l’histoire d’Égypte, avec assez d’exactitude, est un contemporain de Ptolémée Philadelphe, le prêtre Manéthon, peu consulté, peu goûté de nos pères, qui redoutaient sa sécheresse et le tenaient pour suspect de chronologie fabuleuse, tandis qu’en confrontant ses dates et ses récits avec les témoignages hiéroglyphiques on reconnaît aujourd’hui qu’il est le plus souvent d’une entière véracité. Mais que peuvent quelques fragmens épars de cet Alexandrin pour remplir les lacunes, pour parer aux erreurs de nos historiens de l’antique Orient ? Il y faut un autre secours. Dans ce vaste domaine, tout est à faire, tout est à dire, tout est à rectifier.

Ce n’est pas seulement la jeunesse de nos écoles qu’il est urgent d’initier à ces sortes de nouveautés, le public, les gens du monde, ont droit à demander aussi qu’on les aide en ce point à refaire leur éducation. Songez qu’ils en sont restés presque tous à Rollin, et que Rollin, quand il parle de l’Orient, fourmille d’anachronismes et de méprises de tout genre, très excusables de son temps, impardonnables du nôtre. Songez qu’à le prendre à la lettre, en matière de dates et de dynasties, on en vient forcément à des bévues non moins risibles que si, dans notre histoire de France, on faisait d’Henri IV le précurseur de Charlemagne, ou bien de Louis XIV l’héritier de Napoléon.

Évidemment de telles méprises ne peuvent se perpétuer longtemps ; le règne en doit finir, une réforme est nécessaire. Seulement qui s’en chargera ? Quel est le Rollin nouveau qui voudra bien nous raconter avec ampleur et détails la vie de tous ces peuples ? cette grande histoire primitive, point de départ de toute autre histoire ? Quel est celui qui par lui-même vérifiera les témoignages de tous ces monumens, les résultats acquis sur tant de points divers, dans tant de branches d’érudition ? combien de vies lui faudrait-il pour mener à bout l’entreprise ? Et, à supposer même qu’un tel livre, si long, si difficile, presque impossible à terminer, nous fût donné jamais, aurait-il des lecteurs ? Le temps de si vastes lectures n’est-il pas à peu près passé ? À mesure que le savoir humain élargit son domaine, à mesure qu’il étend ses rameaux en quelque sorte à l’infini, le public ne sait plus que faire pour se tenir seulement au courant. Il lui faut de toute nécessité des procédés expéditifs. Déjà pour les sciences physiques il en est largement pourvu. Les résumés, les exposés, les causeries, les conférences, les traités portatifs, presque