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cette perfection et de cette beauté. C’est véritablement un tableau d’histoire encadré dans un paysage d’une harmonie et d’une suavité rares. Sur le sujet pris en lui-même, on peut gloser. Pour ma part, je ne vois pas sans répugnance cet animal hybride qu’on appelé une centauresse. Le centaure me choque moins, soit qu’il tire de l’arc, soit qu’il se batte à coups de massue dans les métopes du Parthénon, soit même qu’il galope sous Achille en lui prêchant la sagesse : il n’y a que des objections physiologiques contre la représentation de ce mammifère à deux ombilics et à quatre bras ; on l’accepte, quoique impossible, par déférence pour les Grecs, qui l’ont inventé ; mais lorsqu’il plaît à nos contemporains d’accoupler un monstre si bizarre, lorsqu’un peintre nous montre une centauresse belle, blonde, coquette ; traînant sa robe à queue sur le premier plan du tableau, une susceptibilité peut-être exagérée nous met en défense contre les séductions trop féminines d’un élément bestial. La vue de ces ménages sourians et ruans éveille dans l’esprit des imaginations de la dernière incohérence où le haras envahit le boudoir. Ces réserves dûment faites, il faut admirer sans autre restriction les grâces naturelles et savantes que M. Fromentin a prodiguées dans son œuvre, la sérénité de ce beau ciel, le charme hospitalier du site, l’arrangement du groupe, la tendresse de la coloration générale et le beau caractère du dessin. Les montagnes sont peut-être légèrement cotonneuses, c’est un défaut qu’on retrouve parfois chez M. Fromentin et même à deux pas d’ici, dans son tableau des Arabes attaqués par une lionne.

Le public du Salon fait une immense popularité à deux figures de femmes que M. Marchal intitule un peu précieusement, selon moi, Pénélope et Phryné. Ne fourrons pas les souvenirs de l’antiquité où ils n’ont que faire. Un Beauceron et une Beauceronne en sabots qui s’embrassent dans une grange ne seront ni mieux ni plus mal, si le livret les nomme Daphnis et Chloé. Les deux femmes de M. Marchal sont deux Parisiennes d’aujourd’hui, Parisiennes jusqu’au bout des ongles et jusqu’au dernier fil de leur toilette. L’auteur de la Foire aux servantes, du Cabaret de Bouxwiller, du Choral de Luther, du Printemps et de tant d’autres œuvres charmantes dont l’Alsace avait fourni les motifs, a voulu prouver un matin qu’il n’avait point perdu ses droits de cité parisienne, et que le succès ne l’avait point asservi à un seul genre. Il s’est donné la tâche de peindre une femme du monde et une demoiselle en dehors du monde, l’une sous des traits et des couleurs qui font paraître la modestie aimable et la vertu séduisante, l’autre sous un aspect qui ne doit pas inspirer l’horreur du plaisir. La première est une compagne que l’on choisirait pour la vie, l’autre est de celles qu’on ne