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ou six endroits attestent une ignorance enfantine. Les figures ne sont à aucun plan, le modelé des nus est incroyablement vide. Parmi les accessoires, il y a des roses qu’on dirait coloriées par une pensionnaire de couvent, et une statuette comme on les dessine au bout de deux leçons d’après la bosse. Et notez que tout cela est bien peint, car tout le monde sait peindre aujourd’hui. Jamais les procédés n’ont été si parfaits, la fabrication si savante. Sur mille peintres, français ou étrangers, qui travaillent à Paris, il y en a huit cents qui possèdent sur le bout du doigt la calligraphié de leur art ; il n’y en a pas vingt qui en sachent l’orthographe, et dans quelques années il n’y en aura plus un, car l’orthographe n’est pas un don du ciel ; on l’acquiert par un long et pénible apprentissage, sous la direction de maîtres savans, patiens et dévoués. L’administration a supprimé tout cela d’un trait de plume ; l’orthographe des arts n’a plus d’école à Paris.

Jusqu’au jour où cette quasi-dynastie des beaux-arts s’est donné le luxe d’un coup d’état, la petite nation des artistes était soumise au régime aristocratique. L’Académie enseignait, dirigeait, encourageait, gourmandait, donnait les prix, jugeait les envois de Rome, ouvrait ou fermait à son gré les portes du Salon, et, pour suprême récompense, admettait dans son sein les bons artistes qu’elle avait faits. Elle en reçut plus d’un qui manquait de génie, mais pas un seul qui ne fut nourri aux fortes études, capable d’enseigner et de juger ; L’autorité de ce corps indépendant déparait un ordre de choses où la démocratie absolue fait bon ménage avec le pouvoir absolu. Les hommes arrivés par circonstance supportent impatiemment les partages et les compromis qui les obligent à compter avec le mérite. On veut être chez soi, jouir en paix de la toute-puissance, avoir raison, quoi qu’on fasse, et même ne fît-on rien du tout. Voilà, dit-on, les causes qui préparèrent en assez haut lieu la déchéance de l’Institut. Une certaine portion du public en fut complice, sauf à déplorer bientôt un mal irréparable. On accusait l’Académie de se croire infaillible, de se montrer exclusive, d’officier un peu trop pontificalement. Il y avait quelque chose de fondé dans ces reproches ; mais, si l’on eût pris le temps de la réflexion et de la justice, on aurait vu que l’académie a des mérites plus grands que ses travers, qu’elle seule pouvait conserver les traditions de l’école française et prévenir la décadence de nos arts.

On l’a jetée au rebut, et avec elle ce sage, cet honnête et consciencieux pédantisme qui condamnait les débutans à apprendre l’orthographe avant d’imprimer prose ou vers. Les études d’après le nu, la méditation laborieuse des chefs-d’œuvre antiques, tout le travail ingrat, pénible, monotone, indispensable néanmoins, est