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est conforme au type généralement adopté, et la draperie qui le couvre ne paraît pas heureuse : c’est un de ces tissus à double face que les Anglais fabriquent depuis vingt ans et les manufacturiers d’Elbeuf depuis quinze, à moins pourtant que le jaune ne soit une doublure cousue à l’étoffe. Dans tous les cas, l’artiste a commis une faute en attirant notre attention sur ce point. L’usage ne permet pas que les peintres ; représentent Dieu le père sans habits, mais c’est à vous de nous faire oublier ce détail. Arrangez-vous pour que la draperie passe inaperçue, qu’elle semble une partie intégrante de la divinité ; sinon, nous vous demanderons qui l’habille.

Les poètes et les romanciers primitifs ont taillé la besogne des peintres, ils leur ont légué des sujets et des programmes par milliers ; mais ils n’ont pas esquissé leurs tableaux, et il reste beaucoup à faire pour donner un corps à la légende la plus précise. Rien n’est plus net, plus simple et plus vraisemblable en mythologie que la naissance de Minerve. C’est un sujet facile à mettre en vers, facile à raconter en prose : pour peu qu’une imagination soit ouverte au surnaturel, elle se représentera aisément le marteau de Vulcain frappant la tête de Jupiter et la déesse qui jaillit tout armée par la fissure du crâne ; mais le jour où M. Mazerolle entreprend de mettre en plafond le récit d’Hésiode, il s’aperçoit que la distance est grande entre le merveilleux et le pittoresque. L’œil ne s’abuse pas à si bon compte que l’esprit, la représentation matérielle d’un fait ne doit rien laisser dans le vague ; or le moyen de tout montrer dans un pareil sujet et de rendre tout vraisemblable ? Essayons de penser en grec ; voici comment nous verrons le prodige. Le crâne de Jupiter s’est ouvert, fermé et guéri en un moment. Une petite Minerve de style éginétique, raide dans son armure et tout d’un seul morceau, le casque en tête, la lance droite et serrée au corps, s’élève en l’air, grandit à vue d’œil jusqu’aux proportions de la figure humaine, et saute alors sur le plancher des dieux, eu elle se met à danser la pyrrhique. Le malheur est que rien de tel ne se peut rendre en peinture. Si Jupiter s’est guéri lui-même instantanément, comme il sied à un dieu, l’œil ne devinera pas que Minerve lui sort du front et qu’elle était sa migraine avant d’être sa fille. D’autre part, un Jupiter au crâne effondré serait horrible à voir. La croissance rapide de la jeune déesse se conçoit, mais ne se peint pas ; il faut donc que l’artiste nous montre un grand corps échappé d’une petite boîte. Or l’œil a sa logique qui répugne à ce genre de contradiction. M. Mazerolle a esquivé une des difficultés de son sujet en noyant le crâne de Jupiter dans un flot vaporeux qui semble fait de mousseline et de nuage ; mais c’est enchérir sur l’invraisemblable que de nous montrer la déesse avec tous ses