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cardinaux ne sont pas venus hier, quoique invités, à la cérémonie de mon mariage. Ils m’ont par Là essentiellement manqué. Je désire connaître les noms de ces cardinaux et savoir quels sont ceux qui ont des évêchés en France, dans mon royaume d’Italie ou dans le royaume de Naples. Mon intention est de donner à ces individus leur démission, et de suspendre le paiement de leurs pensions, en ne les considérant plus comme cardinaux. Vous me ferez un rapport là-dessus pour que je prenne un décret authentique[1]. »

Cette façon de donner leur démission aux évêques qui lui avaient manqué, mesure à laquelle l’empereur revint depuis si souvent, était encore loin de lui suffire. A peine eut-il reçu le rapport de M. Bigot de Préameneu, rapport fait avec modération et qui chargeait aussi peu que possible les cardinaux contre lesquels il était dirigé, que Napoléon donna l’ordre à son ministre de la police de mettre en détention et de faire conduire dans une maison d’arrêt celui d’entre eux qui se permettrait de porter les insignes du cardinalat. Sa majesté était inébranlable. Elle ne voulait recevoir aucune excuse. Elle considérait comme factieux et comme conspirateurs contre l’état les cardinaux qui avaient émis la doctrine que le pape devait nécessairement intervenir dans la dissolution de son premier mariage. Elle était résolue à les envoyer devant une cour spéciale, afin de faire un exemple et d’intimider tous ceux qui, étant dans l’impuissance de troubler aujourd’hui l’état, voudraient semer pour l’avenir des germes de discordes civiles[2]; mais l’idée de faire comparaître des cardinaux devant une commission spéciale avait paru un peu forte à Fouché lui-même. L’empereur, se ravisant alors, dicta à M. de Bassano une note ainsi conçue :


« Le ministre des cultes enverra chercher et réunira ensemble dans son hôtel les treize cardinaux qui, sans empêchement résultant de cause de santé, ne se sont pas rendus à la cérémonie du mariage religieux. Le ministre leur dira... que sans le pape ils ne sont rien, et que, dans le cas où ils auraient une juridiction, la minorité aurait dû obéir à la majorité, que sa majesté a vu dans leur conduite le même esprit de rébellion qu’ils ont manifesté depuis dix ans, et qui a obligé sa majesté à s’emparer de Rome, et qui les a induits à porter le pape à fulminer contre lui une excommunication qui est la risée des contemporains et ne le sera pas moins de la postérité. Sa majesté avait méprisé leurs démarches et les avait interprétées dans un esprit de charité, voulant ainsi se dissimuler leurs mauvaises intentions; mais ils ont présentement comblé la mesure par les discours tenus dans leurs conciliabules... Il était

  1. Lettre de l’empereur à M. le comte Bigot de Préameneu, 5 avril 1810, Cette lettre n’est pas insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier.
  2. Lettre de Fouché au ministre des cultes, 5 avril 1810.